Volver

Femmes aimées, femmes sublimées

Pedro Almodóvar rend hommage aux femmes de son enfance dans Volver.
Bouleversant.

« Au début de ma carrière, les critiques ont été déconcertés face à mes films : fallait-il les prendre au premier degré ? Comment les définir ? Au bout de seize longs-métrages, ils se sont habitués ».

Au fil des années, PPedro Almodóvar aura effectivement fait preuve d’une foi si profonde dans le romanesque et ses pouvoirs qu’il aura progressivement repoussé au plus loin les frontières admises du vraisemblable. L’usage des genres et de ses subtiles mélanges est certainement le biais rusé par lequel le cinéaste a mis sur pied son flamboyant univers, désormais immédiatement identifiable. Volver en est la parfaite illustration : le cinéaste nous fait avaler des couleuvres avec notre consentement, et signe une belle fresque d’émotions plurielles. À la base de ce film, comme de toute proposition almodovarienne, l’ancrage social vient poser les jalons des possibles à venir : dans une vaste séquence d’ouverture, les protagonistes s’appliquent à entretenir les tombes de leurs proches, au sein du cimetière d’un petit village de La Mancha, balayé par un puissant vent d’est. Raimunda, jeune mère responsable et dynamique, y traîne sa fille adolescente, aux côtés de sa fidèle sœur, Sole. Elles croisent là Agustina, une voisine de leur vieille tante malade, généreuse et dévouée. Toutes se retrouveront ensuite intimement liées par une succession de monstrueux événements réveillant littéralement fantômes et démons du passé.

« Volver est un hommage aux rites sociaux que pratiquent les gens de mon village et qui sont liés à la mort. Les morts ne meurent jamais. J’ai toujours admiré et envié le naturel avec lequel les gens de chez moi parlent de leurs disparus et cultivent leur mémoire ».

Dans cette Espagne profonde – dont Almodóvar ne montre ici que les plus beaux atours –, les femmes, courageuses et solidaires, survivent avec fierté. Leur mise à l’épreuve n’en sera que plus rude : viols, inceste, maladie, les cataclysmes et traumatismes ataviques se feront la courte échelle pour permettre à ces héroïnes de se surpasser et de rayonner davantage encore. Baignées d’une chaleureuse lumière exaltée par un décor rouge passion, ces femmes, bien loin de la crise de nerfs, convoquent toutes les autres filmées auparavant par le cinéaste madrilène.

« Volver [Revenir] est un titre qui englobe pour moi plusieurs retours. Je suis revenu, un peu plus, à la comédie. Je suis revenu à l’univers féminin, à la région de la Mancha. Je suis revenu à la maternité, comme origine de la vie et de la fiction. Et, tout naturellement, vers ma mère ».

Et c’est avec une étrange sérénité qu’Almodóvar, notoire angoissé de nature, porte à son point d’incandescence ce vibrant hommage à la gent féminine tant vénérée.
Moins baroque que ses précédents films, Volver embrasse, dans un étonnant et séduisant tour de passe-passe narratif et stylistique, une large palette de genres cinématographiques : comédie dramatique, mélodrame optimiste, naturalisme surréaliste. Les forces contraires s’y réconcilient pour générer un tout émouvant et sensuel.

Au centre de ce pêle-mêle de tonalités variées, les comédiennes irradient. Pénélope Cruz, dans le rôle de la mère courage, en tête. Tessiture de voix plus grave que d’ordinaire, regards tour à tour violents ou humides, silhouette aux formes exaltées, plus ravissante et précise que jamais, elle atteint sous la direction d’Almodóvar (qu’elle retrouve pour la troisième fois, après En chair et en os et Tout sur ma mère) le parfait équilibre entre la femme du peuple et la belle coquette. Lola Dueñas, dans le rôle de la sœur, et Blanca Portillo, dans celui de la voisine, offrent avec subtilité une tangente comique aux situations les plus dramatiques. Quant à Carmen Maura – de retour dans l’univers almodovarien après dix-sept ans d’absence –, c’est avec une jubilation non feinte qu’elle retrouve celui dont elle fut l’une des égéries dans les années 1980, dans le rôle d’une grand-mère fantôme ! Un double retour qui l’entraîne dans un cocasse et savoureux jeu de cache-cache avec les personnages, mais aussi avec l’auteur et les spectateurs de ce délirant et touchant hommage à ces dames sublimées.