Vice Versa

Et réciproquement

Le nouveau film des studios Pixar nous redonne foi dans le pouvoir d’émotion et de rire de ceux qui nous ont fait rêver et pleurer avec Là-haut et Toy Story. Une réussite transgénérationnelle.

On a failli avoir peur. Après un Cars 2 un peu tiède, un Rebelle raté et un Monstres Academy clairement pas à la hauteur du premier volet, on s’était mis à craindre que les studios Pixar ne soient condamnés à nous décevoir. Les créateurs de Là-haut, Toy Story et autres Wall-E avaient-ils perdu leur talent, dilué avec l’absorption des studios Disney animation ? Eux qui avaient su nous faire pleurer et rire avec un talent généré par ordinateur s’étaient-ils éteints, faute de mise à jour ?

C’était oublier un peu vite le talent de Pete Docter. Sur sa cheminée, quelques-uns de ses personnages les plus emblématiques : Bob Razowski, Sully, Kevin, Doug, et l’Oscar du meilleur film d’animation, obtenu pour Là-haut. Pete Docter est aussi l’un des scénaristes de Toy Story et Wall-E et l’un des rares à jouer parfois la carte du muet dans les films d’animation. Qui n’a pas eu le coeur serré pendant la séquence inaugurale de Là-haut ?

Vice Versa repose sur l’histoire des émotions, symbolisées par de petits personnages qui vivent dans le crâne d’une petite fille, Riley, et gèrent ses réactions et ses souvenirs… Cinq émotions : joie, tristesse, peur, dégoût et colère, qui forment une personnalité. Un film qui bascule quand Tristesse fait une boulette et se retrouve, avec Joie, coincée dans les méandres de l’esprit de Riley, laissant les trois autres incapables de gérer le quotidien.

Enfin, le film s’est dévoilé. Et les spectateurs, à Cannes d’abord, ont ri, beaucoup. Pleuré, parfois. Ils ont surtout pu applaudir le savoir-faire de Pete Docter, sa capacité à raconter une histoire universelle, adaptée à tous les âges, tous les publics. Sa propension à faire sienne avec brio la doctrine de l’oncle Walt, érigée en modèle par John Lasseter : pour chaque rire, il doit y avoir une larme. Et puis ils se sont demandé pourquoi le film n’était pas en compétition, où il aurait eu sa place.

Parce que Vice Versa a cette qualité indéniable de pouvoir plaire à tous, car sa petite histoire est universelle. À travers la petite Riley et sa contrariété – un  déménagement dans une ville étrangère –, sa solitude naissante, il conte ce que tous les hommes ont un jour ressenti. Avec un talent de psychanalyste, il analyse nos émotions. Avec un talent de conteur, il nous les personnifie et nous en fait spectateurs, sans pour autant nous les rendre lointaines. Car le rire devant le film est aussi franc que les larmes, alors même qu’il évite le pathos à tout prix, coupant court aux scènes déchirantes avec pudeur.

L’écriture de Vice Versa est un modèle de finesse et, à partir d’une petite idée, il parvient à nous étonner pendant une heure et demie, sortant de son chapeau chaque fois de nouveaux trésors, ici un ami imaginaire, là les « productions des rêves ». Des trouvailles, drôles, astucieuses, parfois acides, face à une société qui a oublié le pouvoir de l’esprit.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le film est dédicacé par les équipes à la fin de son générique : « This film is dedicated to our children, please don’t grow up. Ever. » Alors non, les équipes de Pixar ne demandent pas à leurs enfants de rester petits, mais bien à tous d’éviter de devenir « adultes », et pour une société dans laquelle la marque de fabrique du grand patron est la chemisette à fleurs, c’est assez cohérent.

Car Vice Versa est avant tout une ode à l’imagination, le chant des louanges de toute une génération de rêveurs au pouvoir de l’esprit qui ne se pose aucune limite.

Un film pop, aux couleurs acidulées sans jamais être agressives, avec quelques choix surprenants et remarquables, comme par exemple le « grain » qui s’échappe des émotions et rend flous leurs corps. Un film intelligent et fin, drôle et émouvant… Et vice versa.