Théo et Hugo

Dans le bateau du cinéma vérité

Le nouveau film du duo Ducastel et Martineau creuse le sillon de leur exploration des rapports amoureux et charnels. Entre Nouvelle Vague et Red Room, le film joue la carte du temps « quasi réel » et de la fausse légèreté. Une franche réussite : tous à bord !

D’abord, il faut prévenir… Parce que les abords du film ne sont pas simples. Pendant une très très longue séquence, Jacques Ducastel et Olivier Martineau filment la rencontre et la naissance de l’amour entre leurs deux personnages, Théo donc, et Hugo.

Sous nos yeux ébahis, ils tombent amoureux. Et tout, autour d’eux, se teinte de cet amour. Quitte à ce que ce soit une backroom homo. La séquence est admirable. Crue, sans aucun doute, et le mot est faible. Jusqu’à faire se demander au spectateur ce qu’il fait là, voyeur ultime dans une scène de sexe entre hommes, qui ne cache rien. Mais par sa musique, par sa mise en scène, par sa lenteur s’opposant au frénétisme des rapports, le film devient presque hypnotique. Et alors qu’on pense savoir ce qu’on va voir, arrive le miracle, celui de la rencontre entre ces deux hommes, un regard, une envie, certes, mais surtout une entente immédiate : ils vont sortir ensemble de cette matrice pour se plonger dans la vraie vie.

Alors oui, l’ouverture de Théo et Hugo peut choquer, mais ce serait oublier qu’elle est le préambule d’autre chose. D’une histoire, d’une nuit. Celle de Théo et Hugo, qui vont se retrouver dans le même bateau : celui de la réalité.

Parce que de cette étincelle, qu’on voit apparaître dans un lieu où on ne l’attendait pas, va naître le feu d’une passion.

Et le film passe d’une esthétique très travaillée et stylisée à un effet « Nouvelle Vague » sans heurt. Théo et Hugo se baladent dans un Paris vide, se parlent, se racontent, se chantent. Et leur histoire ordinaire devient extraordinaire. S’il était de notre temps, Hitchcock aurait simplifié sa fameuse formule « boy meets girl » à « person meets person ». Car cette rencontre, ces discussions, font le sel du film.

Depuis longtemps, Ducastel et Martineau tournent autour de ce sujet, de ces rencontres, de ces sexualités et de ces choses que l’on cache parfois, alors qu’elles sont si naturelles. Cette fois, ils jouent la carte de la réalité pure, avec un film qui s’étale sur une nuit, une nuit en flammes après l’étincelle de cette rencontre. Le temps du film et le temps de la nuit se mêlent, la réalité et la fiction jouent le flou. Et on aime.

Bien sûr, ce n’est pas si simple.

Il faut d’abord deux comédiens prêts à tout donner dans leur interprétation. Geoffrey Couët et François Nambot sont ceux-là. Et si le tour de force est d’accepter au final ces scènes de sexe non simulées, et si c’est probablement ce qu’on leur fera remarquer sans cesse… C’est surtout « le reste » de leur interprétation qui pose leur immense talent. Ils sont justes. Impeccables jusque dans leurs petits gestes, et c’est pour cela aussi qu’on aime Théo et Hugo.

Enfin, il y a dans ce film une vraie liberté. De ton et de sujet. Mais aussi de mise en scène. Ducastel et Martineau ont voulu s’affranchir des circuits de production « classiques » pour faire leur film et grand bien leur en a pris. Libérés des contraintes de forme, de rythme que le cinéma « traditionnel » demande, leur film y gagne en fraîcheur, en envie et en vérité.

Et dans ce bateau-là, on embarque volontiers.