L'Avenir

Liberté chérie

Cinquième long-métrage de cette jeune réalisatrice de 35 ans, L’Avenir suit les pas d’une quinquagénaire à qui la vie fait une vacherie… à moins que ce ne soit un cadeau. Un drôle de grand film triste et optimiste.

« Moi qui croyais que tu m’aimerais toujours ! », dit Nathalie lorsque son mari depuis près de trente ans lui annonce qu’il a une liaison et la quitte. Il y a donc, dans ce film au titre provocateur et en apparence antinomique, l’avant et l’après rupture. À première vue, il semble qu’il y ait bien peu de différence entre la première époque et la seconde. À première vue. Car cette phrase d’absolue certitude sur l’éternité du sentiment est la preuve d’une fêlure dans l’armure construite par cette prof de philo rigide et éprise de son métier. Et Nathalie, c’est Isabelle Huppert, gracile et tangible, fonceuse et rapide, cassante et exigeante, dont on jurerait que le film parle d’elle, tant la comédienne habite le personnage de tout ce qu’on croit connaître d’elle. À toutes ces nuances délicates qu’elle apporte toujours. À ceci près que cette femme appartient en propre à la parentèle de la réalisatrice, qui s’est inspirée de sa propre mère.

Le film s’ouvre sur Nathalie se rendant sur une île de Bretagne avec ses enfants et son mari, et corrigeant ses copies jusqu’au dernier moment sur le bateau, alors que sur le pont sa famille profite du paysage, du vent et des embruns. Sujet : « Peut-on se mettre à la place de l’autre ? ». Note : plus que moyenne griffée au stylo rouge en haut de la feuille. La balade qui s’ensuit est faite de dialogues cultivés (la musique sérielle, Chateaubriand…) et d’harmonie concrète. Le récit fait un bon en avant pour retrouver tout ce petit monde une dizaine d’années plus tard : enfants envolés du nid ; Nathalie, sans le savoir, est en pleine révolution : celle, classique en diable, des femmes de cinquante ans et plus. Jadis communiste, elle n’a de cesse aujourd’hui que de faire cours, d’invoquer Jean-Jacques Rousseau ou Vladimir Jankélévitch, pour « donner des armes à des jeunes gens ». En dehors d’elle, la « révolution » – ou du moins quelques révoltes – se fait sentir : grève des lycéens pour leur retraite, « rajeunissement » de la collection de livres de philo qu’elle dirige par une équipe de designers, changement de cap de Fabien, un de ses élèves préférés, qui part s’installer dans le Vercors. Et sa mère, qui ne supporte plus la solitude et l’appelle en pleine nuit ou fait venir les pompiers à tout bout de champ.

En très peu de temps, tous ses repères vont éclater en morceaux. Nathalie verbalise avant de ressentir, ses chagrins s’expriment lorsqu’elle est seule ou lovée contre le vieux chat hérité de sa mère ; le reste du temps, elle est droite, elle tient bon : lorsqu’elle évoque sa liberté retrouvée, « totale, extraordinaire », elle n’y croit pas elle-même, mais elle va s’employer à la faire advenir dans sa vie.

Des rues de Paris aux paysages du Vercors, du printemps à l’hiver, ce qui se matérialise du parcours de Nathalie à l’image est fait de beauté immémoriale et changeante. Nathalie, bon petit soldat, avance, trottine, court, elle monte dans des voitures, des bus et des trains, elle fonctionne. Mais lorsqu’elle veut jeter, rageuse, un bouquet laissé sur la table de l’appartement par son mari volage, elle se pique aux épines.

« Aïe », crie-t-elle, presque surprise. Oui, la vie fait mal, et elle fait du bien aussi, c’est ce que raconte la jeune Mia Hansen-Love avec une acuité et une justesse de vieux sage ayant tout vu, tout vécu. Le vent qui éparpille les feuilles de Nathalie endormie dans un parc est comme le temps qui passe et permet de balayer la tristesse, de se réinventer, se reconstruire.

Ours d’argent à Berlin, L’Avenir est un beau film triste et joyeux, qui réfute l’adage énoncé par Nathalie : « Nous, les femmes au delà de quarante ans, on est bonnes à jeter à la poubelle ! », qui dit que l’on peut faire du neuf avec du vieux, que ce soient des idées ou des sentiments. Et retrouver les sensations dont on s’était coupées : la douceur du corps d’un nouveau-né, le bonheur de parler de tout et de rien, la chaleur d’une embrassade sur un quai de gare. Recommencer, reprendre pied, et transformer une défaite en victoire.