Le bout du tunnel, le parcours de Laurent Jacqua

Grand Corps Malade conte le film de Mehdi Idir

À l’origine, il y a deux rencontres. Celle du chanteur-compositeur Grand Corps Malade avec Laurent Jacqua, le premier détenu à raconter la prison sur un blog. Une rencontre de cœur et une rencontre artistique dont découle une chanson : Le Bout du tunnel. Et celle de Grand Corps Malade avec Mehdi Idir, alias Minos, réalisateur. Pour être exact, il y a une troisième rencontre. Celle entre la chanson de l’un et les images de l’autre, qui donnent donc ce court métrage, conté par Grand Corps Malade et mis en scène par Mehdi Idir. Une histoire en noir et blanc, pour laquelle la narration à la première personne s’est transformée en vision subjective. Une histoire forte qui réunit les univers de l’un et de l’autre pour mieux mettre en valeur Laurent Jacqua et son parcours, cette histoire de survie et de maturité, cette histoire de rédemption et de réinsertion. Petit questionnaire à l’usage des rencontrés.


MEHDI « MINOS » IDIR


Qu’est-ce qui était cinématographique et vous a inspiré dans le texte de Grand Corps Malade ?

Sans compter l’histoire en elle-même, c’est la façon dont il l’a séquencée. C’est déroulé comme un vrai scénario, scène par scène, époque par époque. Ensuite, c’est la manière dont tout est décrit. J’étais avec lui en studio lorsque il a posé la première version de ce morceau, et déjà tout de suite des images te viennent en tête, tu es dedans…

Pourquoi ce choix du noir et blanc ?

C’est à la fois un choix esthétique, car j’adore le noir et blanc, mais aussi une astuce qui nous permettait de rendre les différentes séquences impossibles à dater. Comme on commence en 1984 et qu’on finit en 2011, je me posais la question, à un moment, de faire évoluer, changer les couleurs, l’étalonnage, au fur et à mesure que le film avançait dans le temps. Mais c‘était compliqué et surtout pas si judicieux que cela, puisque le récit ne change jamais radicalement d’époque, tout se fait très progressivement. Par conséquent, le noir et blanc s’est imposé et vient souligner le côté sombre et dur du récit.

Pourquoi la caméra subjective ? Aviez-vous des modèles ?

L’idée de tourner en caméra subjective est venue très vite également, il fallait que les gens se mettent à la place de Laurent. Il fallait les perturber, qu’ils se posent la question fatidique : « Si j’avais été agressé comme ça, est-ce que je leur aurais tiré dessus ? » Je voulais qu’ils perçoivent aussi vraiment ce qu’est l’intérieur d’une cellule. C’était effectivement un défi. J’avais tourné une pub pour Coca quelques mois auparavant en caméra subjective et je m’étais rendu compte que les casques qui permettaient d’y fixer une caméra ne donnaient pas un bon rendu. On ne voyait pas assez les bras de la personne, ça faisait trop faux, du coup on avait mis un harnais avec la caméra sur la poitrine de l’acteur et ça passait beaucoup mieux. Mais on avait utilisé une GoPro, et là je voulais une meilleure qualité d’image, utiliser un boîtier DRL et avoir un vrai retour direct de l’image. Du coup, mon chef-opérateur Raphael Pannier, a fabriqué un système qui permettait de mettre un appareil plus lourd et plus gros qu’une GoPro sur sa poitrine, et qui permettait également d’être autonome en terme de batterie et d’avoir un système Hf pour avoir un vrai retour sur un combo. C’était un système très lourd et encombrant, donc il fallait vraiment bien découper chaque scène d’action et être très précis. Il fallait aussi, dans chaque scène, trouver un moyen, une idée pour qu’on voie les mains de l’acteur, sinon tu oublies vite que tu es en caméra subjective. Ma crainte était que les spectateurs décrochent vite de ce système, il fallait donc vraiment varier les scènes et garder un rythme soutenu tout le long. Après… Je n’avais pas tant des craintes que des questions triviales : « Comment fait-on pour que la personne vomisse ? Pour qu’elle embrasse ? » Heureusement, j’avais vraiment une équipe exceptionnelle et on a pu discuter et trouver des solutions pour chaque problème. Comme modèles, j’avais le clip de Prodigy « Smack my bitch up » en tête, un des meilleurs clips de l’histoire, à mes yeux, et aussi la pub Nike « Take it to the next level ».


GRAND CORPS MALADE


Aviez-vous déjà imaginé les images qui pourraient accompagner vos mots ?

J’avais forcément des images en tête, et ce depuis que Laurent m’avait raconté son incroyable histoire. Mais je n’avais pas imaginé ces images dans le but de les retranscrire à l’écran. Pour ça, j’ai laissé toute la liberté à Minos d’imaginer les siennes.

Aviez-vous des craintes sur l’adaptation de votre chanson ? Avez-vous voulu intervenir dans les choix de Minos ?

Étant donné l’histoire que je raconte dans cette chanson, l’adaptation en images ne pouvait pratiquement être qu’illustrative. Et la petite crainte que je pouvais avoir était donc celle-là, c’est de raconter exactement les mêmes choses dans mes mots et dans les images. Je pense que Minos a réussi le pari d’éviter cet écueil avec ses partis pris de réalisation : la caméra subjective, le noir et blanc, le choix de « couper » certaines de mes phrases pour les remplacer par des scènes jouées sans musique.

Est-ce qu’on redécouvre sa chanson dans ces conditions ?

C’est un peu ça, oui. Les images si réalistes et si crues renforcent l’émotion.

Avez-vous d’autres projets de textes à mettre en images ?

J’ai pour projet un peu fou d’adapter mon livre Patients en long-métrage. Mais cette histoire-là mérite une nouvelle interview !