Le cinéma, du coq à l'âne

Taxi Driver de Martin Scorsese

Un film en appelle un autre, et puis un autre et un autre encore. Parfois, le lien est direct (sujet, acteur, metteur en scène), mais le jeu est bien plus amusant si le rapport est ténu, lointain ou ponctuel (un dialogue, un thème musical, un personnage ou une scène qui résonnent en écho), voire tiré par les cheveux (titre approchant, référence souterraine). Essayez, c’est ludique et joyeux, ça pourrait ne jamais s’arrêter, c’est du bonheur garanti.


Sorti sur les écrans français le 2 juin 1976, Taxi Driver, quatrième long de Martin Scorsese, alors âgé de 34 ans, fête ses 40 ans le 9 novembre en version restaurée. Il a tant marqué les esprits cinéphiles qu’il y avait de quoi faire dix coq-à-l’âne !


TAXI DRIVER

• De Martin Scorsese •


Le taxi est jaune, il va partout dans les rues de New York, y compris dans les coins mal famés du Bronx. Son chauffeur, Travis Bickle, est un ex-Marine revenu du Vietnam, il est seul, il se projette dans ce qui l’entoure et se laisse contaminer par la violence urbaine. Comme si son passé à la guerre l’avait rendu perméable. Ou fou ? Il cherche une place, s’intéresse à une blonde belle comme un ange et au sénateur dont elle gère la campagne présidentielle ; rejeté par elle, il s’assigne une mission : sauver une prostituée mineure des griffes de son mac… C’est l’histoire d’une descente aux enfers dans les entrailles d’une ville et d’un monde en train de pourrir, et la naissance au cinéma d’un réalisateur puissant, Scorsese, et d’un acteur inouï, Robert De Niro, qui ont parlé à trois générations de metteurs en scène et de comédiens.


LA HAINE

• De Mathieu Kassovitz •


« C’est à moi qu’tu parles ? » Dans le miroir de sa salle de bains, Vinz (Vincent Cassel) invective son reflet, imitant explicitement le « Are you talking to me ? » de Robert De Niro dans Taxi Driver. En 1995, La Haine, deuxième long-métrage de Mathieu Kassovitz, raconte vingt-quatre heures dans la vie de trois potes de banlieue parisienne (Cassel, Saïd Taghmaoui et Hubert Koundé), à la suite de violences policières. Réussite absolue, en noir et blanc, cette chronique deviendra emblématique d’une époque et d’une certaine jeunesse baignée de culture américaine et de hip-hop, submergée de colère face au vide qui lui est proposé en guise d’avenir. Ce vide résumé par la blague qui parcourt le film : celle d’un type tombant d’un immeuble de cinquante étages et qui, à chaque palier, se rassure en disant : « Jusqu’ici, tout va bien ».


A MOST VIOLENT YEAR

• De J.C. Chandor •


Né en 1973 dans le New Jersey, J.C. Chandor filme New York de l’autre côté de l’Hudson et de la City, les gratte-ciel où les cols blancs qui font de l’argent y sont une promesse (une menace, dans Margin Call !) tandis qu’Abel Morales est un immigré qui, de chauffeur de camions-citernes, est devenu patron d’une entreprise de pétrole. Le réalisateur réinvente l’époque (1981, l’année « la plus violente » pour ce qui est de la criminalité), avec ses entrepôts taggés et ses rues mal famées. Il donne aussi à Albert Brooks, l’un des chauffeurs de Taxi Driver, son plus beau rôle. Ayant clairement grandi avec les films de Scorsese, Chandor place son troisième long à l’opposé de la célébrissime phrase des Affranchis – « J’ai toujours rêvé d’être un gangster » – en faisant dire à Abel : « J’ai toujours essayé d’avoir les mains propres »…


TAXI TÉHÉRAN

• De Jafar Panahi •


Jafar Panahi, réalisateur du Ballon blanc et du Cercle, assigné à résidence et interdit de cinéma par le gouvernement iranien, tourne en fraude ce film qui lui vaut l’Ours d’or à Berlin. Il se met en scène en chauffeur de taxi, son véhicule équipé d’une caméra accueillant tous les passagers comme autant d’histoires. À bord de sa voiture, Panahi reçoit des quidams, sa propre nièce qu’il va chercher à l’école, une amie avocate… C’est une fable pour dire la ville de Téhéran et la société iranienne, la place des femmes, l’importance des rites, le rapport aux étrangers, l’évolution des mœurs. C’est politique et drôle, bouleversant aussi. Dans l’habitacle s’invente un monde et, chauffeur ou réalisateur, Panahi le saisit pour mieux nous l’offrir.