Hommage à Michael Lonsdale

 

 

Acteur-né, Michael Lonsdale semble n’avoir vécu que pour son métier. D’où son omniprésence sur la scène, sur le grand comme le petit écran, à la radio, assurant de multiples voix off dans des films d’animation et même dans des jeux vidéo. Cela sans discontinuité, de 1955 à sa dernière heure. Formé par Tania Balachova, grande adepte du Système Stanislavski à Paris, Lonsdale a su apporter une touche éminemment personnelle à un nombre incalculable de personnages extrêmement variés. Doté d’un physique relativement anodin, mais surtout d’une voix très singulière, profonde, lentement saccadée, aux intonations quasi musicales, à la diction claire et envoûtante, il était aussi porteur d’un certain mystère intérieur. Il lui suffisait d’apparaître dans l’un de ses inoubliables seconds rôles au cinéma pour non seulement capter instantanément l’attention du spectateur, mais aussi pour le dérouter quelque peu. Tel celui du vendeur de chaussures de Baisers volés de François Truffaut (1968), où il vient demander une enquête sur lui-même, auprès du directeur d’une agence de détectives (André Falcon), afin de savoir pourquoi il n’est aimé de personne. Sa manière de se présenter, dans laquelle la suffisance alterne avec la naïveté, le rend autant étrange qu’attachant. L’un de ses grands moments d’anthologie.

Sa carrière est jonchée de rencontres exceptionnelles, auxquelles il demeura fidèle : Jean-Pierre Mocky de 1961 (Snobs !) à 2013 (Le Renard jaune), Marcel Hanoun de 1967 (L’Authentique Procès de Carl-Emmanuel Jung) à 1974 (La Vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu), Marguerite Duras de Détruire, dit-elle (1969) à Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976)… un cinéma d’auteur exigeant au public restreint, mais qui ne fit pas de lui un acteur élitaire. En effet, il n’a jamais écarté le moindre rôle intéressant dans des films populaires comme Hibernatus (Édouard Molinaro, 1969) ou Ma vie est un enfer (Josiane Balasko, 1991). Bilingue, il fut aussi remarqué pour la singularité de ses prestations par des monuments du cinéma américain comme Orson Welles (Le Procès, 1962), Fred Zinnemann (Et vint le jour de la vengeance, 1963) ou encore Steven Spielberg (Munich, 2005), mais aussi par les responsables de la franchise James Bond (il est le méchant dans Moonraker, Lewis Gilbert, 1979) et, bien sûr, par des cinéastes plus pointus comme James Ivory (Jefferson à Paris, 1995). Très engagé dans sa foi chrétienne, il fut un moine très convaincant, aussi bien dans Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud (1986) que dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (2010), pour lequel il reçut le César du meilleur second rôle. Mais éclectique avant tout et désireux de pénétrer l’âme humaine dans ses plus profonds retranchements, voire les pires, il ne recula pas devant l’invitation de Jean Eustache d’assurer le très dérangeant monologue d’Une sale histoire (1977). L’acteur certainement à la palette la plus riche de sa génération.

 

Michel Cieutat

 

Michael Lonsdale dans "Une sale histoire" de Jean Eustache

L’œil humide (chronique)

 

En 1991, j’ai vingt ans et je découvre un film qui, depuis, n’a cessé d’occuper une place privilégiée dans ma vie : Une sale histoire de Jean Eustache.

Je me souviens comme si c’était hier de mon saisissement. Du verbe précieux et détaché de cet homme, Michael Lonsdale, qui, assis, raconte comment il s’est retrouvé dans un bar, le visage au ras du sol, avec un accès à l’origine, non pas du monde, mais d’une certaine violence de la neutralité. Le genre et ses attributs que la société accole au sexe s’effacent. Il ne s’agit plus d’attirance nourrie et entretenue par des millénaires de conventions. Au contraire, la neutralité opère dans cette rencontre immédiate. L’absence du visage d’autrui – et donc de toute psychologie relationnelle – offre au personnage ce délicieux détachement pour un accès direct au plaisir. Le voyeurisme vécu comme une esthétique du plaisir. Dès lors, comment ne pas savourer la parole du comédien avouant non pas « bander » mais « mouiller » ? Il révèle ainsi toute la forfaiture d’un machisme sexuel érigé comme suprême depuis trop longtemps, où le sexe ne relève ni de la morale ni de la beauté. Et la séduction n’est qu’affaire de commerce, une histoire capitaliste assez vaine et souvent ridicule, enfermant et aliénant hommes comme femmes.

Je n’étais guère frivole, loin de là, sentant confusément que ça – le sexe – était plus et aussi moins que ce dont tout le cinéma tentait de me convaincre. Surgit alors ce film, que j’ai découvert sur un écran de télévision. Cette proximité banalisée de l’image me semble, encore aujourd’hui, porter plus fort et plus haut l’irréductible érotisme libertaire qu’il dégage. Michael Lonsdale devenait, à mon ouïe comme à ma vue, celui qui m’ouvrait non pas un monde délicieux, mais une profondeur dans ce que peut le sexe, à savoir l’infiniment, immensément grand. Et ce, à partir d’une abstraction concrète : un trou, un sexe féminin regardé le visage collé au sol pisseux d’un bar parisien. Cette posture est celle de la prière musulmane, nous révèle-t-il, un brin facétieux. Cette position de soumission “pas de plaisir sans peine” opposée au sexe domestique n’a depuis cessé d’être pour moi liée à la présence charismatique de Michael Lonsdale, à sa voix qui savait manier par l’élégance de son phrasé le plus trivial et jubilatoire des dialogues.

Cette voix, cette présence, mise sur le magnétisme. Cette attraction n’obéit à rien, si ce n’est au mouvement. À travers ce film, Michael Lonsdale demeure, pour toujours, lié à ma re-connaissance du désir et de la liberté.

 

Nadia Meflah

 

Les Ritournelles (feuilleton)

 

Michael Lonsdale était l’invité de notre feuilleton amoureux des voix, en 2016, au micro d’Anne-Claire Cieutat.