Rencontre avec Laure Calamy (1/2)

Une bulle de Reiser qui passe

À l’affiche en août de Rester vertical d’Alain Guiraudie, Laure Calamy incarne ce mois-ci l’amie avocate énergisante de Virginie Efira dans Victoria de Justine Triet. Elle entame aussi le tournage de la deuxième saison de la série Dix pour cent. Révélée au cinéma dans Un monde sans femmes de Guillaume Brac, cette interprète curieuse, intense, délirante, enchaîne films, spectacles et projets. Il était temps de la rencontrer.

Vous avez toujours voulu être actrice ?

Oui. Je n’osais pas, mais j’en ai toujours eu envie. Très petite, je devais avoir quatre ans, j’ai vu un spectacle et j’ai dit à ma mère « Je veux être dame de cirque » ! Je savais que je voulais être sur scène. Vers neuf ans, j’ai fait pendant deux mois un cours de théâtre avec des amis. J’ai adoré. Mon père a dit : « Non non, tu as déjà des choses. » Grosse frustration, j’ai pleuré. Plus tard, je me suis dit : « Dès que j’aurai 18 ans, je me casse d’Orléans. » Il y a eu l’adolescence, période très difficile ! Majeure, je suis montée à Paris. La vraie provinciale qui arrive. Je me rappelle la pub Yop avec le gars sur les toits (Les Années Yop sur le titre Dream a Little Dream of Me). Je me disais : « Mais ça a l’air génial, Paris ! » J’étais complètement folle. Pourtant, je n’étais pas loin ! J’ai fait un cours à La Courneuve, avec un mec qui est mort maintenant, Jean Brassat.

Ensuite, le Conservatoire, dont vous sortez en 2001. Les projets se sont enchaînés depuis ? Il y a eu des moments de galère ?

J’ai plutôt eu de la chance. J’ai toujours beaucoup travaillé. À part peut-être une fois en quinze ans, au début, quatre/cinq mois, mais je savais que j’avais un projet de théâtre. Je me souviens d’un choix que j’avais fait. J’avais une audition au Jeune Théâtre National, à la sortie du Conservatoire. J’ai fait deux projets par ce biais-là. J’étais prise pour l’un, mais ça ne me plaisait pas du tout. Je voulais faire un autre rôle, moins important, mais qui me plaisait. En même temps, il y avait un stage avec Michel Fau sur L’Échange de Claudel. J’adorais les deux. Je me suis dit : « Si je meurs demain, qu’est-ce que je fais ? Ben, j’ai envie de faire le stage. » J’ai refusé le projet, joué au Théâtre de la Colline et j’ai fait le stage. Mes potes m’ont dit : « Mais tu es malade ! »  Mais ce que ça m’a apporté était hyper important. Par la suite, j’ai souvent choisi des gens de ma génération, des projets plus incertains, où on gagnait moins bien notre vie. Je pense que c’est ce qui fait que, sur la durée, quelque chose se construit ensemble.

Rencontre avec Laure Calamy, actrice. Portrait © Laurent Koffel

Des rencontres importantes ont eu lieu avec Michel Fau, Olivier Py, Vincent Macaigne...

Oui, ça a été très fort et je dirais qu’avec Vincent et d’autres, ça a été une manière de travailler différente, avec une écriture au plateau. La première fois que j’ai expérimenté ça, ce fut avec Jean-François Auguste, pour Happy People, qu’on a créé dans un garage à Rennes. Zéro argent au départ, mais une envie commune. Finalement, il a fait plusieurs festivals. C’est ce qui s’est passé sur Modèles avec Pauline Bureau, une aventure collective. C’était une commande du Théâtre de Montreuil, où le thème demandé était les femmes, vaste sujet. C’était vraiment construit sur nos propositions, d’autant plus que la metteuse en scène me savait très féministe et qu’on pouvait trouver un chemin avec de la drôlerie. La suite a été la rencontre avec Blandine Lenoir, qui m’avait vue dans ce spectacle et avec qui j’ai tourné Zouzou, où il y a des choses que j’ai écrites. C’est un mélange. C’est un film qui me tient vraiment à cœur.

Vous aimez jouer avec l’improvisation…

J’adore ! J’aime aussi avoir un texte et le dire, point barre ! Par exemple, Un monde sans femmes de Guillaume Brac. Il y a eu quelques moments d’impro, mais les deux tiers, c’est écrit. La scène de la barrière, malgré ce que pensent souvent les gens, n’est pas du tout improvisée. C’était une scène très importante pour moi, je l’aimais beaucoup. Je la savais, mais c’était tellement bien écrit que j’avais presque l’impression que c’étaient mes pensées. C’était facile de me l’approprier. Il y a des écritures plus ou moins proches de son mouvement personnel, de son imaginaire.

C’est le film qui vous a identifiée au cinéma, alors que vous aviez déjà un parcours riche sur scène…

Complètement. Je n’avais quasiment pas tourné. J’avais fait un film avec Bruno Podalydès, en caissière dans Bancs publics (Versailles rive droite).

Rencontre avec Laure Calamy, actrice. Portrait © Laurent Koffel

Quand vous entrez dans le plan, à l’image, tout est possible. Vous avez une manière de mettre en danger l’action, le film. Dans Sous les jupes des filles d’Audrey Dana, face à Vanessa Paradis, vous dynamitez votre unique scène.

Oui, mais il y avait vraiment quelque chose à défendre. Avec Audrey, j’ai aussi improvisé, rajouté des choses ; elle laisse vraiment libre, mais il y avait une vraie base d’écriture. Une seule journée de tournage, c’est ce qu’il y a de plus dur. Je l’ai fait pour À trois on y va de Jérôme Bonnell, ou récemment avec Hélène Angel pour Primaire (sortie prévue le 4 janvier 2017), et avec Blandine Lenoir en clin d’œil dans son nouveau film, Aurore. Tu arrives, le tournage est commencé, les gens se connaissent. Il faut trouver la détente. C’est de la performance. Un saut dans le vide, en parachute. C’est un truc d’imaginaire. Il y a beaucoup de peur, c’est excitant, comme une première. Sauf que tu n’as pas répété. Je me souviens qu’Audrey avait dit : « On répète pas, on le fait direct. » Terrifiant, mais elle avait raison. Étant comédienne, elle était extrêmement encourageante. Elle faisait trois tonnes de compliments. Tu as un peu l’impression d’être la reine ! Bon… y’a pire dans la vie !

Dans La Contre-allée de Cécile Ducrocq, César du meilleur court-métrage en 2016 et prix d’interprétation à Sundance, vous jouez une prostituée, qui n’est pas seulement moteur de l’action. Suzanne subit aussi.

Effectivement, ça m’a beaucoup intéressée de me laisser dépasser par quelque chose, envahir par le malaise, que ce soit dans la scène du bar ou chez Suzanne. En même temps, le personnage doit masquer sa peur. J’aimais cette instabilité et cette non-maîtrise. Dans la scène de violence, le gars face à moi était danseur. Il n’osait pas et n’avait jamais joué ça. Indirectement, dans la manière de l’empoigner, j’étais active sans que ça se voie. C’est quelque chose qui circule entre les deux, parce que tu permets la violence. Il n’osait pas, parce qu’il était plus grand, il avait peur de faire mal.

Rencontre avec Laure Calamy, actrice. Portrait © Laurent Koffel

Dans Victoria de Justine Triet, en plus d’une mémorable plaidoirie, vous avez une scène où vous racontez un incident dans vos bureaux, avec une énergie et une drôlerie dans l’art de rejouer un événement…

Oui ! C’est le genre de choses qu’on fait dans la vie, mais qu’on n’ose pas trop au cinéma. Rapporter les propos de quelqu’un qui hurle, sa vocifération, avec une toute petite voix. Justine a tout de suite été preneuse. J’aurais pu me retrouver avec quelqu’un qui aurait dit : « Non non, là c’est trop bizarre. » Le génie, c’est ça aussi. Ce que la personne accepte. Ce qu’elle veut. Justine, c’est du swing. J’adore. J’ai l’impression d’avoir le même rythme cardiaque. Elle est super forte avec les acteurs, et très ouverte.

C’était très écrit ?

Oui. Mais par exemple, on a réécrit la plaidoirie au dernier moment. On a modifié, modifié. Heureusement, j’avais un peu de temps, parce que, pour le coup, je n’ai pas le vocabulaire, et on ne peut pas improviser n’importe comment une plaidoirie. On a même vu des termes sur place, car il y avait de vrais avocats. Ils pouvaient nous aiguiller de temps en temps. Justine aime qu’on se sente libre et qu’on puisse formuler les choses, si d’un coup elle trouve bien telle ou telle formule. On peut tout à fait rajouter des choses. C’est un mélange.