Rencontre avec Jeremy Saulnier

Deux ans après Blue Ruin, Jeremy Saulnier était de retour en 2015 à La Quinzaine des Réalisateurs pour y présenter Green Room, huis-clos des plus nerveux, où de jeunes musiciens se retrouvent confrontés à des néo-nazis particulièrement hargneux. Entre deux autres entretiens d’une journée presse très chargée, il est revenu avec nous sur les origines de son nouvel opus.


 

Après Blue Ruin, Green Room : vous avez quelque chose avec les couleurs.

Non, pas spécialement. Et, en fait, Green Room devait se faire avant Blue Ruin. Et puis je me suis dit que ce n’était peut-être pas le bon sujet pour commencer. Blue Ruin traitait de thématiques un peu plus adultes. Et il correspondait plus à mon tempérament de l’époque. Ensuite, le succès de Blue Ruin m’a placé dans une position où je pouvais faire des choix : j’aurais pu me tourner vers un projet plus hollywoodien avec de l’argent, ou alors en profiter pour réaliser un film de genre un peu plus âpre. Et la deuxième alternative me séduisait plus : je ne sais pas si dans cinq ou dix ans, je pourrais encore tourner un film comme Green Room. J’ai de bons souvenirs de mes études à la fin des années 1980-début des années 1990 et du cinéma qu’on pouvait voir alors. Je voulais faire un film de genre qui rappelle un peu cette période et y apporter mes goûts musicaux de l’époque pour un public d’aujourd’hui.

Saviez-vous dès le départ que vous feriez de vos méchants des néo-nazis ?

Oui, car ils sont d’une façon associés au monde musical punk. Quand je m’intéressais de près à la scène Hardcore de Washington à l’époque, on croisait des punks nazis à chaque concert. Ils étaient toujours à la marge de ces mouvements, déjà marginaux eux-mêmes. Et ils étaient dangereux : il y avait souvent des affrontements violents quand ils étaient là. Ils généraient une énorme tension. Du coup, sans me lancer dans une démonstration politique, je pense que ces personnages donnent des méchants parfaits dans cet environnement, d’autant plus qu’ils font vraiment froid dans le dos.

Comment avez-vous financé ce film, bien plus important en matière de budget et de casting ?

Après Blue Ruin, ça a été relativement facile. Le plus grand défi a été de faire un film selon les normes syndicales. J’ai mis tellement de temps à rentrer dans ce système. Blue Ruin a eu un vrai succès, mais il a été vraiment financé à l’économie. Nous n’avons pas pu beaucoup payer les participants. Il était autofinancé, notamment par ma femme et moi. Mais en tant que mari et père de trois enfants, il fallait vraiment que je me décide si je ferais carrière dans le milieu du cinéma. C’est pour ça que j’ai insisté, pour moi comme pour les autres intervenants, que nous fassions ce film selon des normes syndicales, pour que tout le monde soit payé décemment. Mais l’inconvénient de ce système, c’est qu’il nous lie à d’innombrables règles, auxquelles nous n’étions pas habitués. Et certaines peuvent paraître totalement absurdes pour un cinéaste indépendant. Parfois, il nous fallait attendre très longtemps pour que la personne appropriée effectue une action toute simple, que n’importe qui dans l’équipe aurait pu effectuer. Maintenant, je sais pourquoi c’est compliqué de tourner un film à budget modeste sous des régulations syndicales strictes. Mais c’était vraiment super d’avoir dix fois le budget de Blue Ruin. Et je vous assure que tout est à l’écran : les armes, le travail avec les chiens, les décors, les plans à l’hélicoptère. Tout cela était impressionnant pour moi. Et très instructif.

Comment avez-vous réuni ce casting ?

Avy Kaufmann a été une directrice de casting formidable sur ce film. Macon Blair, mon bon ami et proche collaborateur, a été d’une grande aide dans le processus. C’est une véritable encyclopédie dans le domaine du cinéma.

C’est pour cela qu’il a un crédit en tant que coproducteur ?

Oui, mais pas seulement. Il s’est intéressé à de nombreux domaines de la production du film, notamment du travail sur la musique, sur le script…

Vous lui aviez prévu un rôle dès le départ dans le film ?

Figurez-vous que non : j’avais écrit le rôle de Gabe en pensant à quelqu’un d’autre. Et Macon ne m’a pas demandé le rôle, mais il a passé une véritable audition pour l’obtenir. Il a envoyé une vidéo, où il était costumé en néo-nazi et portait jusqu’aux tatouages de son personnage. Dès que j’ai vu la vidéo, j’ai su qu’il n’y avait aucune alternative : il incarnait le personnage. Il ne faut donc y voir aucun népotisme de ma part.

Était-ce un choix de ne pas être votre propre chef opérateur, ou était-ce dicté par des règles syndicales ?

Non, c’était un choix. Il y a quand même moyen de contourner ces règles si on veut être son propre directeur de la photographie. Mais c’était ma première entrée dans la fabrication d’un film de cette envergure. Même si ses 6 ou 7 millions de dollars de budget prévisionnel peuvent paraître bas aux yeux de l’industrie, pour moi, toutes les contraintes techniques liées aux décors et aux scènes de combats chorégraphiées par les cascadeurs et les maîtres-chiens, en faisaient un projet où je devais être constamment en alerte. Ce qui fait que je n’aurais pas pu porter autant d’attention aux deux postes. Sur Blue Ruin, je n’avais surtout à me concentrer sur un personnage, que je suivais du début à la fin du film. Ici, je me retrouvais avec huit personnes dans une seule pièce.

Comment avez-vous travaillé avec différents acteurs ?

Vous savez, la complicité entre les acteurs est intervenue assez rapidement. C’est plus le nombre de prises qu’il faut effectuer pour tous les filmer correctement qui demande du temps. On arrivait parfois à tourner une quinzaine de prises de la même scène, ce qui peut être épuisant pour tout le monde. De même que l’environnement avec la fumée, le faux sang… Et j’ai eu beaucoup de chance : il n’y a eu aucun problème d’égo. Tous étaient investis dans le film. Ils m’ont beaucoup aidé à surmonter les épreuves du tournage.

Avez-vous eu le temps pour des répétitions ?

Pas vraiment. Jamais avec tout le casting, en tout cas. Anton est venu sur les lieux de tournage un peu avant le démarrage. Nous avons pu répéter une scène ensemble. Nous avons eu un peu de temps avant chaque scène mais pas assez à mon goût. Mais peut-être que ça nous a donné une forme d’énergie.

Y avait-il de la place pour l’improvisation ?

Oh non. Les délais de tournage étaient si serrés et si techniquement contraignants, que nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour cela. Même si les acteurs ont parfois changé quelques lignes de dialogues, pour se les mettre en bouche, où pour qu’elles paraissent crédibles.

Comment avez-vous trouvé les deux compositeurs ?

Ce sont tout simplement les jeunes frères de Macon Blair, on reste en famille, vous voyez.

Quels sont vos projets ?

Je suis encore un peu dans le film vous savez. Nous l’avons vraiment terminé il y a quelques jours. A notre retour, nous referons un peu de travail de mixage sur le film et puis je verrai. J’ai quelques projets sur mon bureau, mais je voudrais vraiment être de sûr que j’en choisirai un qui soit original. Peut-être un peu moins connoté cinéma de genre, avec un peu plus d’émotion, peut-être avec une dose d’aventures. Je travaille sur mes propres scripts, mais je reste ouvert à des propositions venant de l’extérieur. J’espère me surprendre moi-même ainsi que mon public.

Macon Blair sera de la partie ?

Oui, d’une façon ou d’une autre, je vous assure qu’il sera là.