Géraldine Pailhas, passionnante pasionaria (#1/2)

Actrice dans Mobile Etoile de Raphaël Nadjari

Gracieuse, nuancée, essentielle, l’actrice se balade entre cinéma grand public et œuvres singulières. Dernièrement, Le Dos rouge de Antoine Barraud, Louis-Ferdinand Céline d’Emmanuel Bourdieu, et aujourd’hui Mobile Étoile de Raphaël Nadjari.

Elle est brune et belle. D’une grâce absolue, avec ce je ne sais quoi de fonceur, de frondeur, qui se décèle instantanément. À son débit de mitraillette. À ce sourire franc, jamais factice. À cette évidence immédiate, dès qu’elle se pose face à vous sur la banquette du café. À cette façon directe d’entamer la conversation sans crier gare et de donner, donner, donner. De la voix et du temps, de la réflexion et des éclats de rire, des phrases à tiroir et des retours en arrière. Il y a chez elle une politesse non feinte, une générosité simple et une authenticité pas si fréquente par les temps qui courent. Géraldine Pailhas, depuis 25 ans, taille la route dans le cinéma français, premier rôle en 1991 dans La Neige et le Feu, César du meilleur espoir et hop là : Jean-Jacques Beineix, Jacques Doillon, Maurice Pialat, Nicole Garcia, Thierry Klifa, Philippe Harel, François Ozon l’ont embarquée dans leurs univers, où elle a laissé sa marque, sa patte, son aura. Dans ses rôles comme dans la vie, ce qui frappe, c’est son énergie.


Vous avez déclaré que vous essayez de mettre le moins de distance possible entre vous et le personnage, qu’en est-il d’Hannah, chanteuse lyrique spécialisée dans des musiques juives du XIXème siècle en voie de disparition dans Mobile Étoile ?

C’était l’occasion ou jamais qu’il y ait le moins de distance possible : Raphaël Nadjari ne travaille qu’en improvisations. Alors, même si au préalable nous avions établi, à travers nos discussions, certaines caractéristiques du personnage et sa trajectoire, c’était vraiment à nous acteurs de nous emparer de cet espace de jeu et de vie, avec notre spontanéité. Hannah, ce n’est pas moi, évidemment, mais je la comprends de façon viscérale. Je lui prête mon envie de me battre pour des choses qui, parfois, semblent insignifiantes aux yeux des autres. L’improvisation ne m’a pas conduite à être moi-même devant la caméra – j’aurais pu jouer quelque chose qui aurait été plus silencieux, ou à bas bruit – , mais en tout cas, dans les propositions, ce sont celles-là que Raphaël a retenues. C’est probablement un des rôles où l’énergie qui est la mienne apparaît le plus à l’écran.

Le fait de chanter, qui ne vous est pas coutumier, donne forcément quelque chose d’inédit ?

Évidemment, et c’est là qu’est la limite de mon envie de me fondre et disparaître complètement dans ce personnage : dans cet exercice dont j’ignorais tout avant de m’y préparer et dont, je pense, j’ignorais encore 70 % avant de commencer à jouer. Parce que la préparation est une chose ­– et je me suis exercée pendant cinq mois au chant avec Helma Wahrum – mais je crois beaucoup à cet instant T où on se lance, ce moment qui permet de concentrer toutes les énergies, les pensées et ce qui émane de la manière dont moi j’aime m’imprégner totalement… Avant de commencer à tourner, je ne savais pas que j’en serais capable. Il fallait beaucoup d’impudeur pour oser prétendre devant mes partenaires, dont la plupart étaient des professionnels de la musique, que j’étais leur supérieure et que je pouvais leur apprendre des choses en matière de chant lyrique ! L’exercice était aussi périlleux que délicieux.

Image du film Mobile Étoile de Raphaël Nadjari.
Hannah se bat avec son mari et son fils pour faire exister une musique qui sans eux n’existerait plus ou en tout cas de moins en moins. Au-delà de la qualité musicale du film, il y a cette histoire d’une volonté farouche à se battre en famille pour un projet commun ?

Il était très important qu’on sente qu’ils étaient animés par quelque chose de l’ordre du vital. Parce qu’artistiquement, philosophiquement, esthétiquement, ça les porte et les fait avancer depuis toujours. Et aussi parce que c’est ainsi qu’ils gagnent leur vie. Ils savent très bien que ce combat va sans arrêt se heurter, être rejeté, écarté, négligé… Ils sont très courageux et je pense que ça raconte beaucoup de la condition de l’artiste aujourd’hui, quelle que soit la forme d’art qu’il choisisse. J’ai l’impression que les artistes sont obligés de sortir de leur bulle ésotérique ou contemplative pour passer à un mode beaucoup plus guerrier.

Comment avez-vous travaillé avec Luc Picard, qui incarne votre mari ?

Luc Picard est un acteur absolument génial, un homme de théâtre très engagé, ce qui n’est pas du tout mon cas, mais on se ressemble pas mal. Et, alors que Raphaël Nadjari avait encore quelques doutes sur ce que notre couple pouvait produire à l’image et sur notre entente, Luc et moi, dès notre première rencontre, n’en avions déjà plus, il était évident que nous étions faits du même matériau. La première scène que nous avons jouée est la première où l’on nous voit ensemble à l’écran. C’est là que nous avons pris connaissance de la forme que le travail de Raphaël allait prendre.

Tourniez-vous dans la chronologie ?

Non, on tournait par décor, voire par lumière. Chaque jour du tournage, je ne savais pas ce que je faisais le lendemain, et je me suis bien appliquée à ne pas savoir. Il y avait une organisation, bien sûr, une première assistante, je savais dans quel décor j’allais tourner, mais j’ignorais tout le reste.

Image du film Mobile Étoile de Raphaël Nadjari.
Où trouve-t-on l’unité du personnage ?

Chaque matin, avant d’entamer le tournage, on avait un petit conciliabule où on revoyait avec Raphaël les enjeux des séquences elles-mêmes, ce qui pouvait nous avoir menés là, et ce qui pouvait en découler. Cette façon de faire est tellement fragile que parfois ça ne collait pas : Raphaël a réactualisé son film au fur et à mesure de la fabrication et ensuite à nouveau au montage. Il génère le matériau le plus vivant possible pour être le moins coincé par la machine cinéma, et par les codes qui, parfois, peuvent le scléroser. Je connaissais le travail de Raphaël, ses films sont empreints d’une belle mélancolie et ont une dimension mythologique, je mourais d’envie de travailler avec lui. Plusieurs personnes m’avaient parlé de lui, depuis des années : nous avons des amis en commun, nous sommes tous deux Marseillais, nés en 1971, et pourtant nous ne nous étions jamais croisés… Cette rencontre devait avoir lieu, je sais pourquoi maintenant. On retravaillera ensemble, je pense.

Il y a un moment très joli dans le film, où votre mari et vous traversez la rue et un coup de vent emporte sa casquette…

Ce coup de vent, dont on ne peut envisager une seconde qu’il était prévu et il ne l’était pas, symbolise, au fond, tout un tas d’autres événements qu’on ne voit pas et qui pourtant se sont produits à d’autres endroits, et qui se produisent tout le temps au cinéma. Malheureusement, certains cinéastes ne savent pas les accueillir… Parfois, il est vrai que ce n’est pas utile et il vaut mieux s’en défaire. Mais en tout cas, ça raconte quelque chose de Raphaël et de ce cinéma-là, qui est l’accueil de ce qu’on propose et le vecteur de ce qu’il y a de plus juste et gracieux pour lui. Il maîtrise très très bien cette improvisation, il a beaucoup travaillé là-dessus. Il me disait avec des mots ce que je ressentais intuitivement. C’était amusant de rencontrer quelqu’un qui m’expliquait ce que je faisais depuis des années, ou en tout cas ce vers quoi je tendais, même avec d’autres cinéastes qui ne me le demandaient pas…