Rester vertical

Garder le cap

À la suite d’un quasi-chef-d’œuvre, L’inconnu du lac en 2013, qui avait émerveillé les uns et rebuté les autres, comment allait rebondir Alain Guiraudie ? Avec son nouveau film, Rester Vertical, le cinéaste enfonce le clou d’un cinéma dense et stylistiquement libre.

Une fois encore, Alain Guiraudie raconte l’histoire d’un personnage solitaire, un alter ego de l’auteur qu’il est, Léo (Damien Bonnard) qui exerce la profession de réalisateur. En panne d’inspiration pour écrire son prochain scénario, Léo part ainsi à la poursuite du loup sur un causse en Lozère. En pleine nature et comme dans un conte, il rencontre Marie, une bergère (India Hair) avec laquelle il décide de s’installer. Quelques mois plus tard, un enfant naît de leur union, mais Léo a la bougeotte tant géographique qu’affective : il s’entiche d’un jeune garçon, Yaon (Basile Meilleurat) et découvre le vieux Marcel (Christian Bouillette). Fatiguée de ses allées et venues, Marie abandonne Léo en lui laissant leur fils sur les bras…

Fidèle à son goût de l’aventure – un état d’esprit qui implique que rien n’est jamais définitif dans la vie -, Alain Guiraudie suit le trajet de son personnage comme s’il avait plusieurs vies. De fait, au travers de Léo qui n’a ni domicile fixe, ni sexualité arrêtée, mais aussi au travers des personnages secondaires tous isolés, le cinéaste interroge le concept de paternité et de famille.

À ce titre, sur un ton très libre, direct et politique, Guiraudie s’engage clairement pour le mariage pour tous, secouant le cocotier de notre hexagone englué récemment dans des débats interminables. En ce sens, sa vision débridée juxtapose habilement l’inversion de toutes sortes de clichés : Marie par exemple, au doux prénom divin, mère seule au foyer, est contre toute attente indifférente à l’instinct maternel, préférant porter la culotte avec Léo et le fusil à travers champs. Autre exemple : le vieux Marcel a beau proposer le profil du râleur rétrograde, raciste et misanthrope dans sa bicoque qui s’écroule en province, il écoute Pink Floyd à s’en péter les tympans, dévoré d’un paternalisme sensuel à l’égard du beau Yoan, adolescent virginal (en apparence seulement…).

Chaque étape de Rester Vertical cultive ainsi l’énonciation d’un contre-pied fondamental, savoureux, drôle et inventif, ayant pour objectif de clouer le bec aux préjugés de chacun.

Pour couronner l’ensemble, l’interpénétration du rêve (ou du cauchemar) avec la réalité permet à Guiraudie d’offrir un éclairage sur la folie inhérente des êtres : dans plusieurs scènes, cette psychologie sourde qui irrigue l’âme de manière souterraine, est mise à nu, donnant lieu à l’éclat d’un savant mélange de tragédie et de comédie. Il est toujours relié à des affres contemporaines très concrètes, qu’il s’agisse de précarité, de misère économique ou sexuelle, d’euthanasie ou de suicide assisté, de paternité, de croyance ou de religiosité ; Guiraudie s’engage ainsi sur tous les fronts, tel un iconoclaste effronté, un joueur astucieux, un gouailleur impénitent, souvent brut, parfois brutal.

Son film, forgé de petites touches, se révèle impressionniste. Il demande au spectateur de prendre un peu de recul, une distance nécessaire pour qu’une image plus générale apparaisse : celle d’un monde complexe, empli de contradictions et d’adversités, absurde et pathétique. Face à celui-ci, Guiraudie, cinéaste aveyronnais, amoureux des hommes, du sexe et de la nature, fils d’agriculteur attaché aux valeurs populaires, exprime plus que jamais qu’il est essentiel de rester solidaire pour survivre, de « rester vertical » contre vents et marées pour combattre le(s) loup(s). Cette vision forte, avec pour boussole un instinct terriblement sauvage et une intuition sans faille,  marque profondément l’esprit.