L’Ange

Angel face

Sauvagerie, bestialité et beauté surgissent par tous les pores de ce portrait détonnant d’un monstre au visage d’ange : biopic du serial killer Carlos Robledo Puch, L’Ange, premier film de l’Argentin Luis Ortega, produit par Pedro Almodovar, vaut délicieusement le détour.

Du haut de sa moue rageuse, enluminée de boucles d’or, Carlitos pénètre par effraction dans une somptueuse villa. Sa silhouette androgyne évolue dans un luxueux salon 70’s puis se met à danser lascivement sur l’air d’une platine qu’il s’est empressé d’actionner… Dès son introduction, L’Ange, premier film de l’Argentin Luis Ortega, cherche à traduire le sentiment  ambigu que l’on peut éprouver face à l’arrogance d’une certaine jeunesse, belle, éprise de liberté, ivre de son impunité jusque dans les pires extrémités. Son modèle est tiré du réel : l’assassin Carlos Robledo Puch, appelé « le chacal », « l’ange noir » ou « l’ange de la mort ». Il fit les gros titres de la presse de Buenos Aires pour une dizaine de meurtres, d’agressions (certaines sexuelles) et autres larcins dont il fut l’auteur à 20 ans, avant d’être condamné à perpétuité. La monstruosité des faits s’accommodait particulièrement mal d’un paradoxe : Carlitos était doté d’une spectaculaire beauté physique, un tueur en série aux attributs de séraphin pour lesquels toutes les midinettes du territoire se pâmaient …

Le scénariste de L’Ange, Rodolfo Palacios, rappelle à juste titre combien les études anthropologiques de Cesare Lombroso (fondateur de l’école italienne de criminologie et auteur de L’Homme criminel en 1876) étayant que la laideur justifiait les actes criminels, étaient alors très en vogue en Argentine… À l’apparition de l’Apollon Carlitos, la naïveté du public s’était ainsi brutalement muée en stupéfaction. Or, c’est précisément ce ressenti, cette stupeur, que Luis Ortega cherche à reproduire et à traquer en chacun d’entre nous aujourd’hui, s’appuyant sur une reconstitution minutieuse des événements, où l’insouciance et la sensualité sont frères d’armes de la férocité.

L’Ange de Luis Ortega. Copyright UGC Distribution.

Sa plus belle trouvaille réside assurément dans le fait d’avoir élu l’acteur Lorenzo Ferro pour incarner Carlitos : pétulant, fougueux, décomplexé, ses attitudes donnent naissance à une permissivité exempte de conscience morale et  sans limites, propre à l’effarement auquel s’attache le réalisateur. Ce dernier en profite pour y glisser aussi d’autres fantasmes : Carlitos fait, par exemple, la connaissance de Ramon (Chino Darín), auquel il se lie d’une amitié ambivalente. L’allusion fit sortir de ses gonds le véritable Carlitos, toujours en cellule à l’heure actuelle. Le  jeune homme dans le film découvre les parents de Ramon, des malfrats organisés qui l’adoptent et lui mettent le pied à l’étrier de leurs activités frauduleuses. Si la peinture du cocon familial coopté est assez amusante, elle semble, là encore, un peu caricaturale. Carlitos développe néanmoins avec le trio un savoir-faire d’escroc, mais se distingue vite : ses déraillements à répétition,  son inconscience radicale et meurtrière, indiquent que l’engrenage vers la démesure est bel et bien lancé…

Luis Ortega suit ses personnages sans jamais relâcher une distance savamment dosée. Ne voilant rien de la violence ni de la cruauté qu’il relate (haut les cœurs !), il immisce une désinvolture en adéquation à celle de Carlitos et parvient en même temps à s’en dégager. De là, il provoque méthodiquement la réflexion du spectateur. Cet équilibre fragile propre au funambule, allié à une élégance plastique de chaque plan, est confondant et d’une belle maîtrise. C’est par cette déambulation sur un fil tendu et sans filet que L’Ange bouscule autant et qu’il séduit.