Une enfance

Chronique d’un été

L’écrivain-réalisateur Philippe Claudel filme deux jeunes garçons et leur famille à la dérive, le temps d’un été, dans Une enfance, chronique lumineuse, vibrante et sensible. Le film le plus abouti de son auteur.

Jimmy est élève de CM2, a déjà redoublé deux fois et vit dans une cité ouvrière de l’Est de la France, coincée entre banlieue et campagne, avec son demi-frère, Kevin, 8 ans, leur mère, qui a récupéré leur garde après un séjour en prison, et son compagnon, toxico grande gueule et désœuvré. Alors que se profile son entrée en sixième, Jimmy occupe ses vacances d’été entre errance, baignades et promenades à vélo, tandis que sa mère et son beau-père s’entredéchirent, entre deux beuveries collectives.

Sur la base de cet argument, Philippe Claudel (Il y a longtemps que je t’aime, Tous les soleils, Avant l’hiver) déroule un récit aux allures de chronique estivale, bien loin de la tentation romanesque qui était la sienne dans ses films précédents. Nous sommes là face à un petit monde contrasté, où la douleur, le chômage et la désespérance font la courte échelle au frémissement, au bonheur éphémère. Le sordide a fait son lit dans le quotidien de Jimmy et Kevin, qui doivent affronter la violence de parents marginaux et autodestructeurs.

Mais jamais cette part d’ombre ne l’emporte sur la lumière. Car Une enfance est un film solaire où la beauté de la nature et la grâce de l’enfance dament le pion à la gravité des situations. Philippe Claudel filme frontalement et simplement ce qui est : des adultes à la dérive, des enfants qui surnagent, à défaut de pouvoir rêver. Mais la vitalité de Jimmy (l’excellent Alexi Mathieu) et de Kevin (adorable Jules Gauzelin) l’emporte sur le drame qui se joue autour d’eux.

Philippe Claudel pose sur eux, comme sur tous les personnages de son histoire (voisin, instituteur, l’employée de la Poste…), un regard foncièrement bienveillant. Toujours à juste distance des corps, il trouve l’angle pertinent pour appréhender les situations avec réalisme et douceur combinés. C’est que le réalisateur-scénariste connaît bien ce petit monde : il vit dans ce décor lorrain inédit au cinéma, où maisons cossues et habitat ouvrier, bourgeois et laissés-pour-compte, cohabitent. Douze ans durant, il s’est investi dans une prison en tant qu’enseignant et a côtoyé de près la misère sociale. Pas un instant, il ne s’apitoie, mais il montre, sans discourir, une réalité qu’il ne peut occulter, toujours sur le fil entre tragique et comique, gravité et légèreté.

Dans un format d’image proche de la vision de l’œil (le 1.85), Philippe Claudel installe ce décor nourri d’une matière intime (le cerisier sur lequel les enfants chapardent des fruits a été planté par son père, un plan dévoile la maison d’enfance du cinéaste…) : se jouent à l’écran des scènes qui sonnent juste, où les gestes et les mots tombent à pic, où les couleurs et l’énergie n’abdiquent jamais. Le spectateur est invité avec élégance à rencontrer Jimmy, Kevin, Pris, Duke et les autres, toujours libre de trouver sa juste place à leurs côtés. Philippe Claudel nourrit le projet de retrouver un jour ses personnages pour deux autres films : belle perspective.