Mia madre

In memoriam

La maladie emporte une femme et dévaste ses enfants. Nanni Moretti abandonne faussement l’autobiographie pour signer son film le plus personnel et le plus bouleversant : les adieux à sa mère.

Nanni Moretti regarde la mort en face. Une mort à nulle autre pareille : la mort de sa mère. Il est l’enfant et dit : ma mère. Mia madre, l’œuvre du fils, l’histoire d’une perte, d’un chagrin, d’un deuil. La mère du réalisateur est morte au moment où il travaillait au montage de Habemus papam (2011), extravagante errance d’un souverain pontife. Mais lui qui s’est souvent mis en scène, pouvait-il, sans monstrueuse impudeur, exhiber son drame intime ? Pour savoir le mensonge tout-puissant du cinéma, il s’en remet au pouvoir de la fiction sur le réel. Toute sa vérité est là.

Il y a ici du cinéma dans le cinéma et du cinéma dans la vie. Il enchâsse deux récits : un film social en train de se tourner, avec des ouvriers en lutte contre des salauds de patrons ; l’agonie d’une mère, condamnée par une médecine impuissante. L’enfant disparaissait brutalement dans La Chambre du fils (2001). Ici, la mort arrive dans l’ordre des choses, la chronologie de l’existence, à l’âge de la vieillesse et du dérèglement du corps.

Nanni Moretti est bien là, devant la caméra : il joue le fils, il est le fils. La mère (Giulia Lazzarini, immense comédienne de théâtre), comme la sienne, a été une professeure de latin. Il est le fils, portant le prénom de son véritable état civil. Mais Nanni redevenu Giovanni, le vrai fils, fait un pas de côté. Il est fils et frère. Sur le devant de l’écran, il s’invente un double, qui est une femme. Margherita Buy, qui joue sa sœur, et le premier rôle, celui d’une cinéaste, c’est lui. Elle est son alter ego égocentrique et touchant, bouleversé par l’absence à venir de la mère bien-aimée. Cette mort le met face à lui-même et face à sa propre vie et ce qu’il en a fait : les certitudes de son personnage s’effondrent comme un fragile château de cartes d’illusions. Nanni, le fils, met en scène sa propre crise existentielle. La cinéaste du film sombre, doute, fait de mauvais rêves.

Film de mort, de deuil, Mia madre tire des larmes, sans mélo. La fantaisie vient sécher la gravité, par le truchement d’un personnage burlesque incongru et nécessaire, John Turturro, la star du film en train de se tourner dans le film, vedette américaine mais mauvais acteur, rate toutes ses scènes avec une incompétence hilarante. Nanni Moretti nous fait pleurer et rire, avec ce beau film à la tristesse pleine de grâce, de tact, de finesse. Il est drôle, il est tragique, il est léger et il est éprouvant. Ceci est le sublime hommage d’un fils à sa mère défunte. Un mémorial intime. Une magnifique déclaration d’amour.