La troisième saison de The Crown offre une transition de casting et opère une libération formelle dans sa narration cherchant à créer ce second souffle nécessaire à la reconduite d’une série.
Il s’est écoulé deux années depuis que nous avons laissé la famille royale ; et il s’est écoulé deux années pour cette même famille royale dans la timeline imaginée par son réalisateur. Une ellipse narrative qui, bien que courte, a été pour Peter Morgan l’occasion d’un grand « renouveau », puisque la quasi-totalité du casting se voit bouleversée. Adieu Claire Foy et Matt Smith ! Bonjour Olivia Colman et Tobias Menzies !
Si ce choix de renouvellement des acteurs a été copieusement décrié – notamment la couleur des yeux de la reine –, Peter Morgan prend-il réellement un risque ? Il est vrai qu’à l’instar de grandes sagas familiales du petit écran où un acteur vieillit et meurt avec son personnage, Peter Morgan aurait pu faire le choix de la « facilité » en vieillissant le casting original au moyen du maquillage ; ou même tirer profit de l’ère qui est la nôtre, c’est-à-dire celle où l’on peut vieillir ou rajeunir des acteurs (The Irishman), voire les ressusciter (Star Wars et l’iconique Carrie Fisher) au moyen de logiciel informatique. Eh bien, non ! Du neuf ! Et encore du neuf ! « Renouveau » est le maître mot de cette nouvelle saison. Et cela fonctionne à merveille.
Olivia Colman est remarquable dans son interprétation – pas surprenant de la part de l’actrice fraîchement oscarisée pour son autre rôle de reine dans La Favorite de Yorgos Lanthimos. Elle parvient à faire oublier immédiatement le visage de Claire Foy. Aussi froide et rigide qu’elle fait preuve d’esprit – nos amis anglais diraient qu’elle se montre witty –, elle arbore un humour so British et d’exquises mimiques dont nous ne nous lassons pas. Le reste du casting est à l’unisson. Tobias Menzies, par sa ressemblance physique, propose un portrait frappant du Prince consort Philippe Mountbatten, tandis qu’Helena Bonham Carter est plus capricieuse et malheureuse que jamais en princesse Margaret, sœur cadette d’Élisabeth. Nous retrouvons aussi la progéniture royale, le prince Charles et la princesse Anne, qui ont bien grandi et apparaissent aussi jeunes et modernes que la monarchie britannique semble vieille et croulante. Un contraste qui apporte de la légèreté aux années suivant la mort de Winston Churchill : celles de l’avènement du Labour Party et de l’importante crise économique et sociale que connaît le Royaume-Uni.
Ce bouleversement, réussi, du casting s’accompagne d’une libération de la narration et de la mise en scène peut-être trop enfermée dans un carcan « classique » au cours des deux premières saisons. Peter Morgan poursuit son envie d’un renouveau et pastiche volontiers différents genres du cinéma. Nous voyageons ainsi à travers les années, mais aussi à travers le cinéma lui-même, en passant d’un épisode empruntant au film-catastrophe (Ép.03 : Aberfan) à un autre empruntant à la comédie romantique britannique (Ép.10 : Un cri du cœur). Un jeu plaisant se dessine au fur et à mesure des épisodes, qui semblent a contrario de plus en plus dramatiques. Cette nouvelle saison finit par prendre des airs tragi-comiques et nous ne boudons pas notre plaisir !