L’Agent immobilier

Devenir meilleur

Quatre épisodes pour cette fable tragi-comique sur un homme dépassé par les événements qui va réparer ce qui peut l’être. À commencer par lui-même…

Olivier Tronier, agent immobilier divorcé, père d’une ado qu’il s’échine à décevoir un peu plus chaque jour, n’a rien d’un premier de cordée. Tout juste orphelin d’une mère qu’il appelait Louise et non maman, il découvre que celle-ci lui a légué un bel immeuble parisien, dont la vente arrangerait bien ses affaires… Il pourrait peut-être enfin avoir un appartement à lui au lieu de squatter, la nuit, ceux qu’il fait visiter le jour. Et honorer ses nombreuses dettes, et les mensualités exorbitantes de la maison de retraite où son père, alcoolique et joueur invétéré, collectionne les bêtises qu’il faut souvent réparer en suppléments sonnants et trébuchants. Mais la dernière locataire refuse de déménager, et les catastrophes s’accumulent… Fourbu, un bras dans le plâtre (sur lequel sa fille a inscrit au feutre noir ces mots : «JE SUIS UN PAPA DE MERDE. »), ayant pour seul compagnon un poisson rouge qu’il a sauvé d’une mort certaine, Olivier s’installe pour une nuit dans un des appartements de son immeuble. Et se réveille face à une petite fille, Clotilde, abandonnée par son père, dans les années 1960 et dans un univers qui pourrait bien être celui de sa propre enfance…

Écrit par Etgar Keret et Shira Geffen, d’après les romans joliment absurdes du premier, réalisé par ces deux complices déjà auteurs des Méduses, Caméra d’Or au Festival de Cannes en 2007, L’Agent immobilier est un régal de loufoquerie et de poésie. Au fil des quatre épisodes, Keret et Geffen nous entraînent entre passé et présent, poisse tangible et rêve possible, dans une sarabande déjantée, où Olivier croise un créancier et son fiston gourmand, une tirelire cochon nommée Zimmerman, une veuve irascible, une tortue en liberté, un poisson — magique et parlant­ — dans son bocal, deux frères polonais multitâche, une petite fille aux grands yeux bleus et un petit garçon au masque de Zorro. 

Le passage entre les deux époques du même immeuble, celle d’aujourd’hui, où tout est saccagé, où la poubelle porte le message « Patience, ce sera bientôt fini toute cette merde », et celle d’hier où les coussins oranges et bruns sont replets, où la télé diffuse Le Manège enchanté, se font par la grâce d’un montage fluide jouant sur les sonorités et les motifs, et le visage tuméfié et chiffonné d’Olivier. Dans le rôle principal, Mathieu Amalric se démultiplie, ludion désespéré, hurluberlu dépassé, hilarant et émouvant parfois dans le même mouvement, dans le même plan. Il est cet homme faillible qui pensait qu’il était trop tard pour s’arranger et réalise que peut-être, quand on veut, si on veut, il est encore temps… De s’excuser, de comprendre, de réparer, de donner… À ses côtés Eddy Mitchell en tonitruant papa, et la jeune Julianne Lepoureau en gamine passeuse de rêve, sont parfaits. Et on retrouve dans un rôle fugitif la délicate Sarah Adler, qu’on avait découverte dans Les Méduses… C’est une fable inventive et brillante, profondément humaniste, qui dit qu’il ne faut pas juger trop vite, qu’être quelqu’un de bien prend du temps, qu’être un bon père s’apprend. Et que sans amour on n’est rien du tout…