Hollywood

Usine à rêves (en couleurs)

Sept épisodes pour réécrire l’histoire d’Hollywood dans les années 1940 et lui faire un bel enfant. La série de Ryan Murphy donne le premier rôle aux femmes, aux homosexuels, aux personnes de couleur… Emballant.

« J’ai grandi dans une ferme du Missouri à une demi-heure du premier cinéma. Mais quand j’ai regardé cet écran géant, j’ai compris ce que la vie avait à offrir, ce que ça faisait d’être vivant. C’était comme si, quelque part, quelque chose m’attendait. J’ai tenu ma première main au cinéma, donné mon premier baiser au cinéma. (…) Ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que je vais au cinéma, je me sens beaucoup mieux. » Ainsi parle Jack Castello, vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui se rêve en acteur et fait le planton parmi des centaines de rêveurs comme lui devant les grilles du Studio Ace, dans l’espoir d’être choisi pour une figuration. Mais Jack est bientôt obligé, afin de nourrir son épouse et leurs jumeaux à venir, de travailler dans la station-service d’Ernie, ex futur acteur. Comme tous ses camarades, fringants pompistes, il lui arrive très souvent de grimper dans une voiture pour emmener une dame au septième ciel contre une poignée de billets verts.

Ce beau gosse blanc croise la route d’Archie, jeune scénariste black et gay, de Ray aspirant réalisateur aux origines philippines, amoureux de Camille, actrice black sous contrat au Studio Ace, qui n’accède qu’à des rôles de soubrette. Ces personnages inventés, mais fortement référencés, croisent la route de véritables personnalités du cinéma de l’époque. Rock Hudson, tout jeune acteur homosexuel abusé par son agent, le tristement célèbre Henry Wilson. Anna May Wong, actrice chinoise qui s’est vu rafler en 1936-37 le rôle principal (et l’Oscar) de The Good Earth (La Terre chinoise, ici traduit dans les sous-titres par Visages d’Orient), car on ne peut sortir un film avec une non- Caucasienne en tête d’affiche… Mais encore George Cukor, Vivien Leigh, Tallulah Bankhead. Et, lors d’une scène bouleversante, Hattie Mc Daniel (ici personnifiée en majesté par Queen Latifah), première actrice noire à remporter un Oscar du second rôle pour Autant en emporte le vent, mais qui ne put même pas s’asseoir avec l’équipe du film en raison de sa couleur de peau…

Bénéficiant de moyens colossaux, la série brille par sa reconstitution fastueuse, la beauté de ses décors et les chatoiements de ses costumes. La lumière, les cadres, tout est remarquablement soigné. Rien que son générique de début est un petit chef-d’œuvre en soi : les six personnages principaux, quatre garçons et deux filles, grimpent à l’assaut de leurs rêves, manquent de tomber, se rattrapent mutuellement, en escaladant les lettres géantes formant le mot HOLLYWOOD pour contempler de leur sommet le paysage de Los Angeles, ses lumières et ses promesses.

Le postulat du créateur de la série, Ryan Murphy (prolixe showrunner à qui l’on doit (Nip/Tuck, Pose, Glee, Feud) est de réécrire l’histoire du cinéma américain, et de lui faire un bel enfant. « Si on change notre façon de faire des films, on pourrait raconter une autre histoire et faire évoluer les mentalités. Je pense que ça pourrait changer le monde. », fait-il dire à un producteur l’aspirant réalisateur. En décidant que cette phrase, mantra de Murphy depuis ses débuts, aurait pu faire effet immédiatement si elle avait été énoncée en 1946, celui-ci impulse à sa série des vertus réparatrices qui font un bien fou.

L’intrigue se concentre autour du scénario écrit par Archie sur Peg Entwistle, la comédienne qui s’est suicidée en septembre 1932 en sautant du haut de la lettre H du panneau HOLLYWOOD. Peu à peu, malgré les obstacles, les préjugés et les coups tordus, la production du film se met en place sans trop de concessions et avec d’heureux aménagements (que nous vous laissons découvrir). Jusqu’à l’épisode final qui va au bout du postulat dans une cérémonie des Oscars revisitée et enchanteresse. Naïve, certes. Mais que celui qui n’y a pas versé une larme me jette le premier Kleenex. « Cette ville a été construite sur l’hypocrisie. Le cinéma renvoie une image de grande vertu américaine. Ceux qui font ces films sont pourris jusqu’à la moelle… », déclare Ernie, le mac directeur de la station-service qui propose de jeunes éphèbes au Tout-Hollywood. En mettant au jour cette hypocrisie, en détournant les codes et donnant la parole à toutes les minorités, en poussant le bouchon très loin sans jamais oublier le spectacle ni les dialogues bien troussés, Hollywood est un joyeux pied de nez à la réalité. Et une vraie proposition pour avancer dans nos rapports aux autres et à toutes les différences.

Et changer le monde, oui, pourquoi pas ?