Girls

L'enfant du siècle

Avec deux saisons à son actif et une troisième annoncée pour décembre prochain, visibles sur HBO, Girls s’est imposée comme une série culte. Grâce, entre autres, au talent indéniable de sa toute jeune créatrice et interprète : Lena Dunham.

« Née en 1986 »

L’énoncé même donne le vertige. Car la toute jeune fille qu’est Lena Dunham est déjà la reine. Du moins, une princesse, mais du genre Midas, transformant tout ce qu’elle touche dans le merveilleux petit monde de la comédie américaine en or massif. L’empereur du milieu ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Car c’est après avoir découvert son premier essai, le film indépendant Tiny Furnitures, (récompensé par un Independant Spirit Award pour son scénario), où germait déjà tout ce que sa série désormais culte Girls allait contenir, que Judd Apatow a misé sur elle. Le conte de fées d’une enfant résolument moderne à qui l’on a confié les clés du château et qui y a improvisé un petit théâtre de son temps.

Car c’est bien ce qui frappe dans Girls, que Lenham interprète, écrit, réalise et produit (!) sous le chaperonnage attentionné d’Apatow. La capacité unique, et forcément accrocheuse, qu’a non seulement cette surdouée à transcrire l’univers 2.0 dans lequel nous vivons (cellulaires, Twitter, Facebook, Instagram : aucun des vingtenaires de Girls ne saurait se passer de l’instantanéité, valeur-phare des années 2010), mais encore à l’incarner elle-même. Jusque dans sa chair. Jusque dans ses rondeurs qu’elle exhibe fièrement comme l’enfant du siècle naissant qu’elle est. Symbole autant qu’actrice de cette génération, se mettant constamment en scène avec un naturel désarmant, capable de s’assumer à 100%, la demoiselle n’est certainement pas si différente des millions d’autres jeunes gens qui donnent raison à Debord, probablement sans le savoir. Elle le fait simplement mieux que les autres.

Car il serait injuste de réduire Lena Dunham à un phénomène générationnel. Cette fille déborde de talent. Celui pour l’autopromotion, mais aussi, et surtout, celui qui semble couler tout seul de sa plume incroyablement juste et vivante. Décrire les us et coutumes d’une génération de filles ? Sex and the City, abrité par la même HBO, l’avait déjà fait, en plus long (Girls ne compte en effet que dix épisodes d’une vingtaine de minutes par saison). Mais l’une des grandes forces de Dunham est justement d’avoir su se désolidariser de cette grande sœur qu’on a voulu lui accoler de force, en créant des personnages vrais. Non plus quatre archétypes dans lesquels « toutes les filles peuvent se reconnaître », mais quatre filles pleines de contradictions et d’incertitudes, de doutes et de bravades.

Marnie, la grande belle, Jessa, l’Anglaise bohème et libérée, Shoshanna, la petite souris coincée, et Hannah, l’intello fauchée ? Oui, mais chacune à son tour, dans une multitude de combinaisons et de variations, tantôt amusantes, tantôt touchantes, toujours empreintes d’une acuité renversante. La revanche de l’esprit sur le corps. Ou plutôt, la conviction que si le cerveau y est, le reste, quelle que soit son apparence, suivra. Voilà qui libère bien davantage que les conseils sexo-émotifs des quatre belles dans la cité. Voilà qui dessine plus intelligemment les contours d’un néo-féminisme et d’une véritable pensée. Peut-être pas en réinventant le monde, comme les grandes consoeurs des années 1970 l’auraient fait, mais en le réinterprétant avec les outils – d’une modernité rafraîchissante – d’une jeune femme aussi bien dans ses baskets vintage (enfin, la fin des importables stilettos !) que dans sa tête.

« Les années 1970 »

Voilà encore, paradoxalement, la référence que fait naître Girls dans l’esprit de son spectateur. Plus encore, les 70’s telles qu’elles ont pu s’incarner à l’image dans les films d’un certain Woody Allen, patriarche de toute une génération de comiques new-yorkais dont Dunham serait aujourd’hui l’héritière la plus inspirante. Car, si les girls de Girls ont un talent certain pour croire qu’elles laisseront forcément leur marque sur Brooklyn, l’île, le monde, c’est en récitant par cœur la leçon de tonton Woody qu’elles s’y emploient : l’autodérision, jamais tu ne craindras. Et plutôt que leurs ampoules aux pieds ou leurs vêtements passés de mode, c’est le moindre de leurs bobos à l’âme, la moindre humiliation, le moindre petit caillou dans le chemin tout droit tracé par les bien-pensants qu’elles exhiberont comme autant de victoires sur les diktats contemporains. Comme Woody s’inventait en dépressif chronique timide et maladroit, Dunham et ses copines se mettent au monde en petites boules de malaise, reflets formidablement cathartiques de nos sociétés, où l’important n’est ni d’en parler en bien, ni d’en parler en mal, mais d’en parler tout court.

Des anti-héroïnes de proximité, ironiques et cru-elles, drôles et touchantes, une mise en scène d’un classicisme déroutant, laissant sans cesse le fond primer sur la forme (refermant définitivement – espérons-le – la page de l’esthétique clinquante, publicitaire et cache-misère à la télé), des tatouages fous sur des contours mous, des désillusions d’époque tenues en laisse par des esprits irrésistibles et anticonformistes, un regard autant qu’un corps : Girls, c’est tout ça. Et bien plus encore.