Premiers Plans d’Angers 2018 : Bilan palmarès

L’énergie vient du froid

La 30e édition du fameux festival angevin dédié aux premiers films a rendu son verdict. Vingt-six récompenses égrènent le palmarès. Le Grand Prix du long-métrage européen va ex-aequo à Tesnota de Kantemir Balagov et Winter Brothers de Hlynur Palmason. Impressions sur quelques grandes lignes de l’édition 2018.

Parmi la foisonnante programmation de l’événement, le jury longs-métrages présidé par Catherine Deneuve a dû départager neuf œuvres venues d’Europe. Dans la section hexagonale, cinq films offraient leur singularité. Reflets du monde, ces premiers films ont raconté une histoire à eux tous. Celle d’une fiction où l’étrangeté a mené la barque. Une étrangeté marquée par le lien fraternel, obsédant, perturbant, signé du sceau du destin, dans Winter Brothers de Hlynur Palmason, Valley of Shadows de Jonas Matzow GulbrandsenBroers de Bram Chouw et Tesnota de Kantemir Balagov, où les frères et sœurs se cherchent, se perdent, s’affrontent, se sauvent.
Des cellules familiales en danger, sous le coup de la menace matérielle et sociétale, en quête de solidité et de dignité dans Il Figlio (Manuel) de Dario Albertini et Sparring de Samuel Jouy, en quête de survie dans l’amputation soudaine de The Rules For Everything de Kim Hiorthoy, dans la rudesse post révolutionnaire ukrainienne de Strimholov de Marina Stepanska, et dans l’implosion effroyable de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand.

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Une survie qui passe par l’affrontement du monde, en proie à la dévastation de virus cannibales dans les rues de Paris de La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher, et dans l’Europe fragilisée malgré l’antidote de The Cured de David Freyne. Une résistance à l’amnésie collective du monde dans les allées du cimetière des Versets de l’oubli d’Alireza Khatami. De l’étrange à l’étranger, il n’y a qu’un pas, que les personnages vivent dans leur confrontation aux communautés suspicieuses, dans Gutland de Govinda Van Maele. La solution arrive alors avec la transformation, la mutation transgenre des Garçons sauvages de Bertrand Mandico, seul pas vers l’épanouissement jouissif pour vaincre la noirceur menaçante, l’obscurantisme. Un climat lourd prolongé par la rétrospective thématique « Drôles de familles », du Souffle au coeur de Louis Malle à Canine de Yorgos Lanthimos, de Théorème de Pasolini à Festen de Thomas Vinterberg. C’est pas la joie !

Pour contrebalancer ce gouffre sombre, mais éclatant de joyaux cinématographiques, il fallait de la fantaisie à Angers. Chose faite dans cette même rétro familiale, avec Mon oncle de Jacques Tati, et avec les lumineuses pépites de l’hommage à Agnès Varda, avec le délire de la rétro Monty Python, et les couleurs tranchantes de la rétro Almodovar, ou des programmes de courts-métrages d’animation. Avec le loufoque aussi du film d’ouverture, Madame Hyde de Serge Bozon, « hommagé » à Angers, où Isabelle Huppert campe une femme double irradiante, et du délire d’animation de clôture, Croman de Nick Park, où les hommes des cavernes sont sauvés par le foot ! Et puis l’espoir, la promesse, l’excitation de découvrir les prochaines œuvres de toute cette ribambelle de cinéastes européens. Un vivier galvanisant de travail et d’imaginaire.

Festival galvanisé aussi par les expériences uniques qu’ont pu vivre les spectateurs en écoutant autant qu’en regardant. En ressentant autant qu’en imaginant. Les lectures sont des passages désormais établis de Premiers Plans. Assister à une lecture publique d’un scénario est un moment rare. Des interprètes de passage prêtent leur voix, leur souffle, leur phrasé, à des films encore en phase de préproduction. Ce fut le cas notamment de Midinette et de Deux, premiers longs-métrages qu’on espère bientôt en tournage, par leur auteur réalisatrice/teur respectifs Maria Larrea et Filippo Meneghetti. Ana Girardot, Assumpta Serna, Jean-Luc Vincent pour le premier, Léa Drucker et Macha Méril pour le second, se sont ainsi prêtés à l’exercice (voir interview de Léa Drucker). Avec une générosité dans le jeu particulier de la lecture en direct, en position assise à une table, face à l’assistance. Deux récits où il est question de passé qui ressurgit, et vient dynamiter un présent que les plus jeunes personnages croyaient téléguidé sur une autoroute de certitudes. Quant à Isabelle Adjani, elle a offert en marge du festival son timbre unique et sa curiosité renouvelée au théâtre Le Quai. Aux prémices d’un spectacle en gestation avec le metteur en scène Cyril Teste, le duo a revisité l’empreinte d’Opening Night, film de John Cassavetes et pièce de John Cromwell, au gré de textes, citations, références, digressions et extraits sonores. Cinquante minutes ailleurs, de Tchekhov à la Callas, de Rilke à… Adjani. À suivre !

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En distinguant Tesnota et Winter Brothers, Catherine Deneuve, Valérie Donzelli, Tizza Covi, Clément Cogitore et Guillaume Senez ont mis en lumière un cinéma tenu, serré, sec, dans l’enfermement impressionnant de Tesnota, comme dans les éclatements impulsifs de Wonter Brothers. Deux cinéastes qui chantent la résistance aux convenances, aux pressions de la communauté, du groupe. Deux propositions qui croient puissamment au cinéma, art de raconter par la singularité, avec une foi inébranlable dans leur sujet et leurs personnages.

Les films des compétitions longs-métrages bientôt en salles : Sparring, le 31 janvier. Jusqu’à la garde, le 7 février. Winter Brothers, le 21 février. Les Garçons sauvages, le 28 février. TesnotaIl Figlio (Manuel) et La nuit a dévoré le monde, le 7 mars.

Palmarès (sélection) :

Grand Prix du jury longs-métrages européens – ex-aequo :
TESNOTA de Kantemir Balagov (Russie) / WINTER BROTHERS de Hlynur Palmason (Danemark/Islande)

Prix Jeanne Moreau du public longs-métrages européens :
STRIMHOLOV de Marina Stepanska (Ukraine)

Prix Jean-Claude Brialy du public longs-métrages français :
JUSQU’À LA GARDE de Xavier Legrand

Prix des activités sociales de l’énergie longs-métrages français :
SPARRING de Samuel Jouy

Grand Prix du jury courts-métrages européens :
CEATA d’Adi Voicu (Roumanie)

Prix du public courts-métrages européens :
U PLAVETNILO d’Antoneta Alamat Kusijanovic (Croatie/Slovénie)

Grand Prix du jury courts-métrages français – ex-aequo :
DÉTER de Vincent Weber / RETOUR À GENOA CITY de Benoît Grimalt

Prix du public courts-métrages français :
RETOUR À GENOA CITY de Benoît Grimalt

Prix Mademoiselle Laduray d’interprétation féminine longs-métrages européens :
DARIA JOVNER dans TESNOTA de Kantemir Balagov

Prix Jean Carmet d’interprétation masculine longs-métrages européens :
ANDREA LATTANZI dans IL FIGLIO, MANUEL de Dario Albertini

Prix d’interprétation féminine courts-métrages français :
ANOUK AGNIEL dans DÉTER de Vincent Weber

Prix d’interprétation masculine courts-métrages français :
SÉBASTIEN WEBER dans DÉTER de Vincent Weber