Mother!

La cruauté artistique à l'œuvre

On aura tout entendu sur le Mother! de Darren Aronofsky, grand « n’importe quoi », « conte raté », « faux film d’horreur » et même « pire film de tous les temps ».
Et si on se calmait un peu ?

D’abord, le pire film de tous les temps, on irait plutôt le chercher ailleurs. Vers des séries B, des séries Z et des séries sans nom, parce qu’elles n’en méritent même pas. On en a vu quelques unes, et ces messieurs-dames de la critique aussi, sans doute. Et vous savez quoi ? Il y a fort à parier qu’on ne citerait pas les mêmes, et que même là on en arriverait à s’écharper et à traiter les autres de tous les noms…

Pour le reste… Mother! est – selon l’avis de celle qui écrit ces mots et c’est le seul qu’elle entend défendre- , un film bouleversant, qui réussit ses paris, aurait mérité quelques minutes de moins, quelques retouches de scénario, certes, mais au vu de l’émotion qu’il véhicule, on lui pardonne.

D’abord, il y a la forme. Eblouissante. Aronofsky passe du thriller au film d’horreur allègrement pour se diriger vers un final infernal, une spirale implacable qui emmène son héroïne, et le spectateur irrémédiablement attaché à son destin, vers les tréfonds de l’humanité. C’est inclassable, surprenant, sans cesse… Et c’est beau.
Le huis clos de Mother! est parfaitement filmé. Depuis le premier moment où l’héroïne se lève et pose le pied par terre, la caméra ne la lâche pas d’une semelle, regardant au dessus de son épaule, forçant le point de vue. C’est dérangeant un moment, et puis cela bascule vers l’empathie : Aronofsky réussit son premier pari.
C’est qu’il peut se reposer sur ses interprètes. Jennifer Lawrence, impeccable, dont la passivité peut parfois énerver, avant qu’on ne comprenne vraiment, en le ressentant, son état d’admiration béate envers son mari. Le mari, c’est Javier Bardem, un monstre, donc.
Un monstre d’ego, en écrivain cherchant l’inspiration dans ceux qui l’entourent. Un monstre de charisme. Et l’acteur l’incarne à la perfection, distillant ses sourires au compte-goutte. Là encore, comme sa chère et tendre, on se retrouve le cherchant, attendant ses humeurs, redoutant son absence.
Quant au reste du casting, Ed Harris et Michelle Pfeiffer en tête, tous jouent leur partition à merveille.

Et de cette partition, une fois qu’on est passé dans la machine infernale, que reste-t-il alors ? Une fable d’une incroyable noirceur sur la création, la façon dont les artistes cannibalisent la vie et les autres pour les donner en pâture à des foules admiratives.
Et sur la fin inéluctable de cette histoire : le malheur du créateur, qui ne peut pourtant pas s’en empêcher et recommencera sans aucun doute, porté par son besoin de reconnaissance. Le tiraillement de celui dont l’inspiration a besoin des autres et qui aimerait pourtant s’en empêcher et vivre une vie plus simple…

Mais c’est aussi, puisque le film s’appelle « mother » et qu’il adopte le point de vue de son héroïne, une constatation cruelle de ce que peut devenir une compagne, une muse face à la célébrité de l’artiste qu’elle inspire. Mother donne tout, elle refait la maison, lui ramène -littéralement- la vie et se retrouve vite au second plan de foules en admiration, perdue entre l’envie de rester auprès de son écrivain et un instinct fort de survie qui lui hurle de se sauver.

Noir, dites vous? Crépusculaire même, sans pour autant être fataliste ou désespéré, là encore Aronofsky réussit un étrange mélange de genres et on ressort de Mother! chamboulé, mais pas forcément abattu.

Alors certes, parfois c’est maladroit, un rien trop appuyé et on aurait volontiers coupé quelques dialogues et images « too much », mais c’est surtout brillant. Le crescendo du film est implacable, on accroche immédiatement jusqu’à ce final époustouflant (littéralement, attention à l’apnée).

Ascenseur émotionnel, fable cruelle, réflexion universelle sur l’artiste et la vie qui l’inspire et qu’il inspire, Mother! est sans conteste l’une des meilleures, des plus fortes et des plus belles propositions de cinéma qu’on ait vues depuis longtemps.