L’Affiche du 71e Festival de Cannes

Juste un baiser ?

Sous un ciel pastel, Anna Karina et Jean-Paul Belmondo s’embrassent. La 71e affiche du Festival de Cannes est pop, joyeuse et amoureuse. Mais revenons au film…

« C’est une femme et un homme qui s’embrassent ». Oui, mais pas n’importe quelle femme. Pas n’importe quel homme. Et pas sous l’œil de n’importe qui. Anna Karina et Jean-Paul Belmondo, chez Jean-Luc Godard, chacun dans sa voiture, tendent leur buste et leur visage l’un vers l’autre jusqu’à ce que leurs lèvres se rejoignent.

 

Magazine de cinéma - Pierrot le fou - Godard

Ce moment suspendu est tiré de Pierrot le fou. Plus exactement, il s’agit d’une photo de tournage signée Georges Pierre, d’un gros plan arrêtant le temps, suspendu, aérien… Tandis que dans le chef-d’œuvre godardien, cet instant extrait d’un plan-séquence passe à toute vitesse. Alors que Ferdinand et Marianne, chacun dans son bolide, font du gymkhana entre les arbres d’une pinède (où vient d’avoir lieu un guet-apens et une double exécution), ils se crient « Je t’aime », leurs deux voitures se rejoignent le temps de ce baiser et repartent dans des directions opposées. Quelques minutes plus tard, il la prendra dans ses bras, mais le corps de la belle traîtresse sera sans vie, tombé sous les balles de celui qu’elle s’évertuait à appeler Pierrot. Pierrot, Pierrot le fou, comme Pierre Loutrel, chef du gang des tractions dans les années 1940…

Sur l’affiche signée Flore Maquin, point d’arbres, mais un ciel bleu d’azur, estival et digne d’un festival. Elle tend son bras vers lui, il serre le poing, il est vêtu d’une chemise rouge et d’une veste, sur son T-shirt à elle, on peut lire « Mic-mac ». Et c’est vrai que le film, traversé des « palpitations colorées » – qui, selon une biographie lue par Ferdinand/Belmondo, étaient la marque du peintre Velasquez sur la fin de sa vie -, bourré de références à Renoir, Auguste et Jean, et plus largement à la peinture et au cinéma, est un sacré mic-mac… Un coq-à-l’âne où les genres s’entrechoquent. Une illustration de la définition faite par Samuel Fuller lui-même dans les premières minutes, lors d’une ennuyeuse soirée mondaine : « Un film est comme un champ de bataille : amour, haine, action, violence et mort. En un mot : émotion. » Une variation sur l’envie de réinventer l’écriture cinématographique, « ne plus décrire la vie des gens, mais la vie. La vie toute seule. Ce qu’il y a entre les gens : l’espace, le son et les couleurs. »

Louis Aragon s’enflamma dans Les Lettres Françaises, et il avait raison, disant que le Pierrot le fou était « d’une beauté surhumaine ». Le baiser sur l’affiche est fougueux, partagé, romantique. Avant, après, c’est une autre histoire : celle du film. C’est la beauté des images arrêtées que de dire une chose et son contraire, mentir vrai. « La photographie, c’est la vérité. Et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde », disait dans son deuxième long-métrage, Le Petit Soldat, Godard, le menteur génial.

PS : On attend Jean-Luc Godard sur la Croisette le 11 mai pour accompagner en chair et en os son dernier opus, Le Livre d’image