Drame de la filiation

Dédié au cinéma et la musique, le Festival d’Aubagne a eu l’excellente idée d’ouvrir sa 21ème édition ce 30 mars avec le film Un fils de Mehdi M Barsaoui, dont la musique originale a été composée par Bouhafa Amine.

Drame poignant sur un couple déchiré par la possible perte de leur enfant, ce premier film tunisien impressionne par sa dimension politique, où l’émancipation comme l’éthique sont au cœur du récit.

Lors de son passage à Paris, nous avons rencontré le cinéaste Mehdi M Barsaoui, qui vit et travaille en Tunisie.

 

 

Comment le cinéma est-il entré dans votre vie ?

Je me souviens. C’était en 1992 à Tunis, j’avais sept ans. Je vais dans un cinéma situé au centre-ville, pas loin de la rue de Paris, pour voir Jurassic Park de Steven Spielberg. Ce souvenir est toujours présent en moi, j’en ai encore des frissons. Je dois ajouter que j’ai été, comme on dit, biberonné au cinéma par ma famille. Mon père, Khaled Barsaoui, est réalisateur et surtout directeur de production maintenant. Habib Attia, producteur du film Un fils, est mon frère, et ma mère était directrice du département cinéma à l’école supérieure pendant une bonne dizaine d’années. Mon beau-père, Mohamed Attia, est producteur, et mon cousin Mehdi Ben Attia est cinéaste. Au départ, je ne voulais pas faire de réalisation, mais uniquement du montage. C’est pour cette raison que j’ai décidé, tout de suite après mon bac, de m’inscrire à l’école de cinéma de Tunis – l’Institut Supérieur des Arts Multimédia. Après avoir été major de promo et avoir obtenu une bourse, j’ai décidé de partir étudier en Italie. Nous avons une longue histoire avec ce pays, ma mère est à moitié italienne. Je me retrouve à Bologne au DAMS, où j’ai continué à me former à l’esthétique du montage, toujours dans l’optique de ne pas faire de réalisation. À Tunis, on nous apprenait à monter, certes, mais de manière technique, nous étions au début de la vidéo numérique avec Avid, Final Cut. Ce que je déplorais un peu durant cette formation, c’est qu’on nous apprenait comment couper, mais pas pourquoi couper, comment trouver un rythme, comment concevoir le montage comme une réalisation. Cela restait un apprentissage fonctionnel, qui oubliait la dimension esthétique. C’est véritablement à Bologne que j’ai pu approfondir mon enseignement du montage comme langage cinématographique. De retour en Tunisie, j’ai commencé à travailler comme monteur pour différents cinéastes. Mon premier montage d’un long-métrage était pour le film de Hind Boujemaa C’était mieux demain (2012). C’est en travaillant auprès des cinéastes que j’ai aussi appris comment faire des films. À la fin des années deux mille je me suis lancé dans la réalisation de mes propres courts-métrages. J’ai pu constater que le montage demeure l’écriture du film. Le montage interroge le scénario, on questionne constamment le film. Je ne peux guère cacher que j’adore le montage et si je ne devais garder qu’une étape de fabrication d’un film, ce serait celle-là. Pour Un fils, c’est la première fois où je délègue cette partie : j’ai travaillé avec Camille Toubkis.

Mehdi M Barsaoui, réalisateur de Un fils. article. Photo de Laurent Koffel.
Quelles sont vos références, ou influences, pour poursuivre autour de cette idée du montage comme langage cinématographique ?

Moins pour le montage que pour son écriture et sa sensibilité, ce sont les débuts d’Alejandro González Iñárritu avec sa trilogie, Amores perros, 21 grammes et Babel. Ces films m’ont marqué et ils continuent de m’inspirer. Babel a été un vrai choc avec cette narration éclatée et ces récits qui se rejoignent à la fin. Il y a aussi le cinéaste iranien Asghar Farhadi. La découverte d’Une séparation a été un moment très fort dans ma vie

On peut relier Une séparation et Un fils dans la mesure où ces deux films, ancrés dans un drame intimiste déchirant, racontent aussi les profondes fractures qui bouleversent leurs pays. Comment ce récit de la filiation, d’une ampleur tellurique, s’est-il imposé à vous ?

Le point de départ a surgi en moi lorsque j’étais très jeune, il m’a accompagné pour ensuite s’imposer à moi. Je suis issu d’une famille recomposée. Depuis que je suis jeune, je questionne les liens qui unissent une famille, indépendamment des liens du sang. Qu’est-ce qui fait de nous des frères, est-ce le même patronyme sur une carte d’identité ou sur un acte de naissance ? Est-ce que ce sont les fêtes de L’Aïd en famille ? Qu’est-ce qui fait de nous une famille ? Mes parents ont divorcé lorsque j’étais jeune, j’ai grandi avec mon frère et ma mère. Lorsqu’on me demandait, alors que j’étais jeune enfant, de remplir la fiche à l’école pour présenter ma famille, j’étais vraiment fier et heureux de mettre toute la fratrie, les frères et sœurs. Or, certains professeurs, dont je déplore le manque de tact – mais qui, en même temps, par leur indélicatesse ont insufflé en moi l’idée de faire ce film – ont commencé à me dire que ce n’étaient pas mes frères, que nous n’avions pas le même nom, qu’ils n’étaient que des demi-frères et demi-sœurs. J’avais six ans et je recevais avec violence ces paroles assez agressives. Je commençais à me poser des questions : qu’est-ce que c’est d’avoir un frère, pourquoi mon père est-il parti, qu’est-ce que ça implique, une famille ? Je grandissais avec ces failles, je devenais un homme en Tunisie, dans une société arabe. Confronté à cette société, ces questions ont commencé à prendre une grande importance. Qu’est-ce qu’être un homme ? Un homme arabe ? Qu’est-ce qu’être un homme arabe moderne, surtout à partir de 2011, où nous avons vécu les soulèvements avec des questionnements souvent schizophréniques sur ces notions d’homme, d’arabe, de moderne et de musulman. J’ai vécu ces bouleversements de plein fouet. Depuis 1956, on raconte que la Tunisie est le pays le plus moderne du monde arabe, que la femme jouit d’une grande liberté, que c’est le premier pays arabe à avoir une constitution, à avoir aboli l’esclavage. Sur le papier, la Tunisie est la Norvège du monde arabe ; c’est flatteur, mais je trouvais ça très théorique. Dans la pratique, ce n’est pas si évident que ça. La femme n’a pas la place qu’elle mérite dans la société. On dit que la femme tunisienne est très libre, très émancipée ; c’est vrai sur certains points, mais le chemin reste encore très long avant une émancipation totale et affranchie. La Tunisie demeure une société très patriarcale, avec des lois misogynes.

L’adultère est-il considéré comme un délit ?

Non, ce n’est pas un délit ; l’adultère est, selon la loi, un crime pour l’homme comme pour la femme. Il est puni de cinq ans de prison ferme. Dans le film Un fils, la preuve est concrète, c’est le cas de l’enfant. La société tunisienne est traversée de plusieurs paradoxes. Par exemple, la femme, depuis des années, peut en tant que mère célibataire, avoir un enfant hors mariage, lui donner son nom. D’un même côté, au sein d’un couple, lorsque l’enfant paraît, c’est automatiquement le père qui est désigné comme tuteur, on ne demande même pas à la femme si elle veut être sa tutrice légale. De même, on pardonne plus facilement à un homme qui a des relations extraconjugales. Mais une femme qui trompe son mari est taxée de toutes les ignominies. Alors, évidemment, il y a des fantasmes qui persistent pour légitimer cette discrimination : l’homme arabe serait plus porté par ses désirs, un homme n’a pas peur d’assumer son côté bestial, car lorsqu’il couche, ce n’est pas pour des sentiments, c’est animal, presque malgré lui. Alors que la femme, c’est bien plus grave, car elle a des sentiments, une femme ne couche jamais pour un soir, il faut qu’elle aime, etc. Ces questionnements et ces réalités par rapport à la société tunisienne sont au cœur d’Un fils. Par exemple, dans le film, j’ai décidé de ne pas justifier l’adultère de cette femme. Je me souviens très bien, au moment de l’écriture du scénario, j’avais vraiment peur qu’elle soit jugée sévèrement, qu’on passe à côté d’elle, pour ne retenir que son infidélité, l’image d’une « mère indigne ». C’était un vrai dilemme, et un jour j’ai statué, car j’ai réalisé que dans cette société-là, l’homme ne se justifie pas. Jamais. Je ne vois pas pourquoi une femme devrait le faire. On ne justifie pas cet adultère, elle l’a fait et ensuite que chacun se fasse sa propre histoire. Celui qui veut croire que cette femme a eu des pulsions, tant mieux, celui qui veut croire qu’elle est tombée amoureuse un moment d’un autre homme, il pense ce qu’il veut, pour moi le plus important était de ne pas justifier cet acte.

Ce qui arrive à ce jeune couple moderne, aisé, avec leur enfant unique est un électrochoc qui révèle tous les dysfonctionnements de la société, ses non-dits comme ses compromissions, sa misère comme ses inégalités. Le film montre dès l’ouverture comment cette société bourgeoise, qui se veut libérée, vit dans une bulle.

Ça me fait plaisir que ce soit perçu, parce que c’était l’idée de départ des sept premières minutes du film. Ces personnages-là évoluent d’un cocon à un autre. La scène d’exposition le montre très bien. On est en bordure, confiné dans un lieu clos, c’est la sphère familiale. Ils sont heureux, ils sont ensuite avec leurs amis à un pique-nique en forêt, protégés par cette végétation qui les maintient confinés. Surgit ensuite l’attentat qui fait tout éclater, car cette famille s’est inconsciemment protégée de la réalité, grâce à son statut social, grâce à son argent. On a fait le choix, avec ma cheffe opératrice Camille Toubkis de toujours filmer à l’intérieur, près de cette famille. Lorsque la vitre explose, sous les coups de mitraillette, c’est la première fois que la caméra filme de l’extérieur, elle sort les personnages de leur cocon.

Le film montre un réseau d’enfants noirs africains, utilisés comme cobayes, vivant dans un système quasi esclavagiste.

En 2011, je vois une vidéo où une partie de la famille de Kadhafi, restée dans la résidence, est entourée par un bouclier humain composé de jeunes enfants noirs. Trois ans plus tard, alors que j’écris mon scénario, cette image du petit Libyen m’est apparue comme une évidence. Tout de suite après la chute de Ben Ali, des rumeurs circulaient sur des laboratoires clandestins dans les banlieues huppées de Tunis, où des choses inimaginables se passaient. La Lybie est devenue un pays archaïque, chaotique, sans état civil. Les enfants nés de viols, d’incestes, de grossesses non désirées, les enfants touchés par un handicap, tous ces enfants marqués dès leur naissance sont les rejetons de la société. Ils n’existent pas, ils sont livrés à leur sort, véritablement jetés, et certaines personnes les « récoltent » pour en faire du profit. Ils servent de chair à canon pour les plus fortunés. En Tunisie, cela reste encore une fois des rumeurs, il n’y a à ce jour aucune étude, mais j’ai décidé d’imaginer une vie comme ce petit Subsaharien qui, avec sa famille, a voulu fuir son pays pour aller en Europe. Il se retrouve en Libye, l’enfer commence alors pour lui. De plus, il est dans un pays arabe. Je dis que nous, Arabes, nous sommes profondément racistes envers les Noirs. Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi que l’enfant soit noir, comme d’ailleurs la personne qui le vend. Que vaut la vie humaine d’un Noir ? C’est un véritable fléau que ce racisme des Maghrébins envers les Noirs, c’est un déni de notre africanité, nous oublions que nous sommes des Africains ! Beaucoup de Tunisiens sont noirs, or l’Africain, c’est toujours l’autre, surtout pas moi ! Nous, on est blancs, en fait ! Mais après, on n’est pas assez blancs pour les Occidentaux et pas assez noirs pour les Africains. Il y a vraiment une double schizophrénie par rapport à l’Afrique et au monde arabe. Il me semble que c’est dû à sa position géostratégique. La Tunisie est un pays où la mixité culturelle est très riche ; il y a eu les Vikings, les Turcs, les Siciliens, les Ottomans, les Berbères, les Arabes, le pays a aussi été sous protectorat français. Il existe plusieurs Tunisie. Mais je reste optimiste, car nous sommes actuellement en train de dessiner notre propre chemin, même par rapport à la démocratie. Le plus important demeure pour moi le vivre-ensemble, que nous interagissons tous ensemble.

Depuis la révolution, une nouvelle génération de cinéastes est apparue. Primés dans les festivals internationaux, ils proposent différentes formes du récit, que ce soit Leyla Bouzid (À peine j’ouvre les yeux), Walid Mattar (Vent du Nord), Ala Eddine Slim (The Last of Us, Tlamess), Kaouther Ben Hania (La Belle et la Meute), Sarra Abdi (Benzine), Mohamed Ben Attia (Hedi, un vent de liberté, Mon fils), entre autres.

Il y a eu un avant et un après 2011. Une ligne de fracture assez nette, où avant 2011, pour les cinéastes, il était clair qu’ils devaient dénoncer la dictature dans laquelle nous vivions tous. C’était leur rôle de dénoncer cette oppression. Leur cinéma était au service d’un projet politique d’émancipation. Mais souvent, ces films didactiques, de la dénonciation directe, restaient parfois loin du peuple. C’était un cinéma que les gens considéraient comme élitiste. Les Tunisiens ont commencé à déserter les salles dès 1995 jusqu’à 2012, 2013, car le cinéma qu’ils voyaient ne les représentait pas, il ne racontait pas leurs problématiques. Les salles de cinéma ont commencé alors à fermer les unes après les autres. 2011 est arrivé et moi, je me suis réapproprié mon pays. Je suis malheureusement le fruit de la politique de Ben Ali. Je suis né en 1984, j’avais trois ans lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1987. J’ai suivi un enseignement public, étatique, de l’école primaire à l’université. Heureusement que je vivais dans un environnement familial où l’on m’incitait à être curieux, à lire, à voir des films, à comprendre le monde dans lequel nous vivions. Arrive 2011. Enfin, on se réapproprie notre pays ! Je me souviens, la première fois de ma vie où j’ai manifesté, c’était le 8 janvier 2011. En fait, toute ma vie, avant cet événement majeur, j’étais apolitique. Le rideau était fermé, nous ne parlions pas politique, c’était un tabou, nous étions en permanence dans de l’autocensure. Lorsque arrive 2011, on reprend tous les espaces : culturels, politiques, sociaux. Commence alors une vague de documentaires tunisiens, les citoyens regardent les films, notamment aux JCC – Journées Cinématographiques de Carthage, qui est pour tout le monde une formidable vitrine. Les Tunisiens retrouvaient leurs problématiques. Tout de suite après, arrive alors une nouvelle vague de films de fiction. Nous n’étions plus dans du militantisme didactique, les films étaient ancrés dans du social, comme par exemple ceux de Leyla Bouzid ou Walid Mattar. Une série de films, qui sont politisés, mais au plus près de leurs personnages, sans discours. Les Tunisiens sont revenus en masse dans les salles de cinéma, car ils ont retrouvé des films qui racontaient leurs histoires, dans lesquels ils pouvaient se projeter. Cette réconciliation a été soutenue par l’institut cinématographique, notamment par Chiraz Latiri qui présidait le CNCI – Centre National du Cinéma et de l’Image. Cet élan des cinéastes et des citoyens a été accompagné dans le pays et à l’international. Ça brisait enfin l’image de la Tunisie considérée à l’étranger comme premier pays exportateur de DAESH, et de l’hémorragie de la migration clandestine.

Mehdi M Barsaoui, réalisateur de Un fils. article. Photo de Laurent Koffel.
Parlons du père d’Un fils, interprété par Sami Bouajila. Ce qui est remarquable, c’est que votre scénario le fait chuter dans sa masculinité et dans sa filiation…

Il a une révélation. Il réalise que d’être père ne concerne pas les liens du sang. Il va surtout réaliser l’horreur qu’il était prêt à commettre pour garder cet honneur. C’est un homme qui se remet complètement en question, ses différents ego sont bousculés, que ce soit celui du mari, du père, de l’homme. Il va se révéler à lui-même et il va évoluer.

Comment avez-vous procédé pour choisir vos comédiens ?

Je dois avouer que je déteste le casting, c’est une étape assez difficile. Je fais moi-même les auditions, car prendre un directeur de casting qui va sélectionner des actrices et des acteurs, alors que je suis caché dans une pièce – je les regarde, mais eux ne me regardent pas -, je trouve ça impersonnel et tellement froid. Je ne suis pas un flic ! On met cinq ans à écrire des scènes, à créer des personnages et en quelques minutes, constater que ce soit défloré ainsi par ce type de casting, quelle horreur ! J’ai besoin de temps, de rencontrer directement les comédiens. J’ai ma méthode. J’invente des scènes qui ne sont pas écrites dans le scénario, comme ça il n’y pas d’attente de ma part. En revanche, je raconte le film, la trajectoire et, pour chaque comédien, j’invente une scène qu’ils peuvent jouer. Pour le rôle de la mère, j’ai expliqué à l’actrice Nadja Ben Allah que son mari lui a signé l’autorisation, et que désormais il refuse de lui parler, c’est fini entre eux. Ils sont tous les deux dans les toilettes de l’hôpital. Elle sort du cabinet, elle le rejoint au lavabo, commence une discussion, il claque la porte, ils se retrouvent tous les deux enfermés, avec la police dehors. Pour ce casting, j’ai joué le rôle du mari Farès, je dis à l’actrice que ces deux personnages peuvent tout faire, vraiment tout, sauf de sortir de la pièce. Pour Nadja, la scène a duré dix-sept minutes, je l’ai vu terrassée, presque me sauter au cou. J’ai vu l’horreur dans son regard, sa fragilité aussi. J’ai vu dans Nadja le personnage de Meriem. J’ajoute que c’est la seule actrice qui m’a cloué le bec. C’est ainsi que j’ai choisi Nadja Ben Allah pour le rôle de la mère.

Avez-vous utilisé cette même méthode avec les enfants ?

Il faut tricher avec les enfants. Je dois dire que ceux qui interprètent les rôles d’enfants esclaves d’Afrique subsaharienne sont tous interprétés par de jeunes Tunisiens de Tataouine. L’enfant qui joue le rôle D108 est interprété par Qasim Rawane, il comprenait parfaitement le film, même si, parfois, je voyais bien qu’il faisait semblant de ne pas tout saisir. En revanche, il ne parle pas le français. C’est une langue qui perd du terrain dans de nombreux pays, contrairement à l’Algérie. Le français est un marqueur social en Tunisie. Il est présent dans toute la partie côtière du pays, en grande partie en raison du tourisme. Plus vous rentrez à l’intérieur du pays, plus le français disparaît. En outre, il y a une nouvelle génération d’adolescents anglophones. Ils sont tous connectés, très accros aux séries sur Netflix, ils jouent en réseaux, l’anglais leur est très commun. Youssef Khemiri, qui joue le rôle d’Aziz, l’enfant du couple, est tellement intelligent que j’oublie parfois que c’est un enfant, je m’adressais à lui comme à un adulte. À notre première rencontre, je lui avais demandé de convulser. J’avais volontairement mis la barre assez haut, et franchement, trouver un enfant qui sait convulser comme lui reste assez rare !

Mehdi M Barsaoui, réalisateur de Un fils. article. Photo de Laurent Koffel.
Votre film est travaillé par différentes lumières, notamment en extérieur, une photographie sobre et majestueuse avec les paysages, les cieux qui semblent porter la tragédie.

Je ne voulais pas tomber dans le piège de l’esthétisation, car le scénario est très chargé. J’aurais pu être tenté par des travellings sur le désert et la petite brise qui soulève la dune. Je n’étais pas dans ce désir-là, je voulais une lumière crue, sobre, avec une caméra fluide, viscérale, organique, proche de ses personnages. J’adore les chefs-opérateurs qui cadrent, qui ont une écriture, J’ai découvert le travail d’Antoine Héberlé avec le film Paradise now de Hany Abu-Assad, dont je reste convaincu que c’est un des meilleurs films arabes qui ait été fait. J’ai senti dans le film la collaboration entre le cinéaste et le cadreur, une harmonie qui m’a persuadé que c’est avec Antoine que je devais faire Un fils. C’est pour moi essentiel d’être en relation étroite, complice avec mon chef-opérateur. C’est ce que j’ai eu avec Antoine. Nous avons tourné en septembre et octobre 2018. En septembre 2019, Un fils a été sélectionné et primé à Venise.

Mini bio de Mehdi M Barsaoui

Né en 1984, Mehdi M. Barsaoui a grandi en Tunisie. Il est diplômé de l’Institut Supérieur des Arts Multimédia de Tunis et de la DAMS à Bologne pour la réalisation de films. Il a réalisé trois courts-métrages. Le plus récent des trois, On est bien comme ça, a remporté le Muhr d’or du Meilleur film à Dubaï en 2016. Sa carrière internationale débute avec Un fils, son premier long-métrage, sélectionné dans la section Orizzonti au 76e Festival international de Venise, lors duquel Sami Bouajila remporte le prix du meilleur acteur.