Le presque ABCdaire de Valérie Lemercier

A-L-I-N-E. Cinq lettres et des mots au choix. Valérie Lemercier nous donne envie de jouer avec elle. Son film Aline (lire ici notre chant d’amour), à la fois biopic inspiré de la vie de Céline Dion, success story, romance et fable, exhale le goût du jeu : nous lui avons donc soumis ce presque ABCdaire, qui laisse la place à l’imaginaire et à la liberté. Valérie Lemercier a pioché parmi les mots que nous lui avons suggérés et nous a embarqués avec elle dans le récit de ses aventures au Québec, où s’est tourné ce film aussi audacieux qu’exaltant. Aline est décidément un film extraordinaire, que seule une fantaisiste de génie comme elle pouvait imaginer, orchestrer et incarner.

Magazine de cinéma - Bande à Part - Motion Ted Artsel

 

A comme…

 

Amour

 

« C’est un film sur une grande histoire d’amour. Amour de la famille, d’abord. Mais aussi d’un grand amour, d’un amour unique, protecteur, qui a permis à Aline de se dépasser. »

 

Ampleur

 

« J’aime la démesure, la déguise, le décorum. La vie de Céline Dion est une vie d’une ampleur incroyable. Il lui arrive des choses comme rarement dans une vie. Des choses parfois très intimes, et parfois trop grandes. Il y a des écarts dans cette existence, entre l’enfance du début de l’histoire et la vie de la plus grande star vivante au monde. Pour ma part, mon public le plus vaste atteignait 4000 personnes, et je peine à imaginer l’effet que doit produire le fait de chanter devant 80 000 ! Céline a traversé le monde avec ses tournées. Il y a quelque chose d’exotique dans cette vie pour nous, Français. Sans doute parce que cela se passe dans notre langue, et, en même temps, cela a lieu très loin. Sa culture n’est pas la nôtre et c’est ce qui me plaît. C’est une autre façon d’être. Cette histoire n’aurait pas pu se passer en France. Et puis, une voix, cela s’écoute sur un tracteur, dans un salon, absolument partout. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus beau. Il n’y a pas besoin de grand-chose pour écouter une chanson, et c’est universel. Il y a donc de l’ampleur dans la vie de Céline, et pas uniquement dans ses robes et la taille de ses maisons. »

 

Authenticité

 

« Céline Dion est authentique. Elle s’est toujours beaucoup livrée, disant ce qu’elle pensait. Elle disait elle-même qu’elle était un « livre ouvert ». Cela dit, ce qu’elle ne donne pas, on le lui vole. C’est quelqu’un qui ne triche pas et je pense que les gens ressentent son côté authentique, accessible, « ordinaire », comme dit la chanson que chante Aline à la fin de mon film. C’est une grande chanson de Robert Charlebois. Cela dit, il ne faut pas être ordinaire pour pouvoir la chanter, ni trop jeune. Céline voulait la chanter depuis longtemps, et elle l’a fait à 45 ans. Sans une certaine expérience, distance ou sagesse, ce n’est pas possible de l’interpréter. »

 

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L comme…

 

Ludique

 

« Ce projet n’est fait que de jeu. Mes acteurs, tous Québécois sauf deux, avaient tous un goût du jeu immense. Comme il y a peu de cinéma qui se tourne chez eux, ils se sont engouffrés dans mon film intégralement. J’ai rarement vu des acteurs regarder aussi peu leur téléphone sur un plateau… Ils étaient immergés dans les scènes, en demande pour refaire des prises, aux aguets de tout ; ils jouaient tout le temps, même de dos, même de très loin dans le paysage. Ils aimaient improviser. En cela, ce sont des acteurs américains : ils agissent, ont toujours quelque chose en main, comme dans la vie. Ils étaient capables de jouer tout un spectre d’émotions sans problèmes, de la drôlerie la plus ultime au plus grand sérieux. Je n’ai jamais vu autant de disponibilité et de plaisir de jeu. Et au Canada, je n’ai constaté aucun sexisme. Tout était agréable. J’ai eu le sentiment de trouver une famille au Québec. Une famille pleine d’autodérision, avec laquelle je me suis beaucoup amusée. C’était saugrenu et drôle aussi pour moi d’avoir 10 ans le matin et 50 ans l’après-midi. Il y a vraiment eu une grande joie à fabriquer ce film. »

 

Lumière

 

« Il y a en dans la neige et beaucoup dans la maison, au début du film ; il y a de la lumière sur scène, avec tous ces projecteurs et ce vent dans ses cheveux. Il y en a dans ses séances photos. La vie d’Aline, c’est de la lumière. Je ne suis pas sûre qu’elle ait beaucoup vu celle du jour, dès lors qu’elle s’est mise à chanter… »

 

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I comme…

 

Imagination

 

« J’ai coécrit le film avec Brigitte Buc et nous avons essayé d’imaginer – sans jamais, j’espère, trahir Céline Dion – sa vie de manière cinématographique. Nous avons imaginé plein de choses à partir de faits avérés. Par exemple, alors que j’ai cru comprendre que, dans la vie, la mère de Céline a écrit une lettre à René pour lui faire part de son inquiétude quant à son union avec sa fille, dans le film, nous avons imaginé qu’elle venait au casino pour lui parler directement. C’était plus fun ainsi ! La nuit, je rêvais que Thérèse Dion, la mère de Céline, lisait le scénario et m’engueulait parce qu’il n’y figurait pas les bons horaires de spectacles ! On n’est donc pas dans la précision totale – ce qui pourrait heurter les puristes -, mais sans, je crois, la trahir pour autant. »

 

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N comme…

 

No limit

 

« On était sans doute inconscients, mais on s’est lancés dans des choses qui pouvaient paraître a priori impossibles à tourner. Par exemple, au début des repérages, sur un décor où je devais avoir cinq ans, mon chef-opérateur, Laurent Dailland, a eu peur, ce que je comprends. Il m’a suggéré de faire de ce projet un spectacle musical. Je lui ai rappelé qu’il avait éclairé Didier – outre Astérix, Place Vendôme ou Le Goût des autres. Je lui ai dit : « Didier est   une histoire improbable, non ? Si tout le monde a cru qu’Alain Chabat pouvait être un chien, on pourra sans doute croire que j’ai cinq ans ? ». C’est vrai que c’est moi qu’on voit à tous les âges, et non ma tête posée sur le corps d’une enfant ou d’une adolescente. J’ai été resizée, on a joué sur des éléments surdimensionnés, comme des bureaux, des lits, à côté desquels je faisais petite ; ce à quoi s’ajoutaient des effets spéciaux très sophistiqués, avec une équipe de vingt personnes pendant six mois, qui a passé son temps à me créer des publics dingues, alors que je tournais face à zéro spectateur. Mais comme je connais la scène, je sais l’énergie qu’on peut y avoir, ça ne me dérangeait donc pas. J’avais – retour à la lettre I – l’imagination nécessaire pour jouer ces scènes. C’est donc vrai que ce projet pouvait sembler infaisable. J’ai même des amis qui ne me croyaient pas quand je leur disais que j’allais jouer Céline enfant ! Comme au théâtre, il y a là un pacte avec le spectateur : je lui demande de croire à ce qu’il voit. Interpréter tous les rôles dans un one woman show n’aurait pas été marrant ; ce qui est drôle, c’est de jouer le même personnage à tous les âges. J’ai aimé jouer avec ce temps qui passe dans ce film. Le film débute en 1932 et s’achève en 2016. Il fallait faire des ellipses habiles pour que cela passe en deux heures. C’est ce que j’ai beaucoup aimé en revoyant Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet : j’y ai trouvé les ellipses très habiles. Aline aussi a quelque chose d’un conte. En quelques images, on peut faire sentir que le temps, les saisons ont passé. »

 

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E comme…

 

Enfance

 

« J’ai eu une enfance très rurale, entourée d’une famille très nombreuse. On était 150 à table le jour de l’an. On jouait tous de la musique. J’étais une enfant pas du tout jolie, à qui on le disait. Dans le film aussi, Aline entend des choses désagréables – sur ses dents, par exemple. Quand je regarde la vraie Céline, petite, je la trouve mignonne. J’adore l’entendre chanter pour sa mère. Je n’ai d’ailleurs pas voulu utiliser les chansons écrites par sa mère, à ses tout débuts, et j’ai préféré qu’on entende celle qu’elle chante pour elle. Toute la mise en scène du film est faite en fonction de ce que je voulais montrer. Par exemple, la première fois qu’Aline se rend dans le bureau de Guy-Claude, j’ai voulu qu’on l’entende chanter derrière la vitre, de sorte qu’on se concentre sur son émotion à lui. J’aimais aussi raconter son adolescence : elle était jalouse de Vanessa Paradis, qui, elle aussi, a débuté très jeune.

J’ai toujours joué des enfants sur scène. C’était l’occasion de le faire au cinéma. On n’aurait sans doute pas pu faire ce film il y a quelques années encore, du fait des effets spéciaux sophistiqués nécessaires. On y utilise des choses basiques des débuts du cinéma, mais aussi des astuces très compliquées, tant et si bien que beaucoup pensent qu’on a placé ma tête sur un corps d’enfant. Mais non ! J’avais besoin de mes mains pour jouer Aline. Mes mains sont ce que je protège le plus : j’ai toujours des gants, j’ai tout le temps peur de me blesser. Avec les mains, on dit beaucoup de choses. J’ai beaucoup regardé celles de Céline Dion : elle a une gestuelle très particulière, que j’ai essayé de capter pour jouer Aline. »

 

Bonus sonore : La scène du « Vatican » commentée par Valérie Lemercier !