Produire au Brésil au temps du coronavirus

C’est l’un des pays les plus touchés par le Covid-19. C’est aussi l’un des endroits où la culture et le cinéma sont le plus en souffrance. Pourtant, le réalisateur Francisco Bahia et sa productrice Alice Riff se battent pour tourner un documentaire humaniste et militant. Accompagnés par La Fabrique de L’Institut français, et rencontrés à cette occasion, ils racontent leurs difficultés, et surtout, leur envie de cinéma.

L’annulation du Festival de Cannes 2020, victime de la crise du coronavirus, n’a pas seulement porté un coup au secteur de la distribution des films, dont les plans de sortie ont dû être totalement repensés faute de véritable sélection. Pour certains jeunes cinéastes et producteurs, cette saison de Covid a paralysé une activité déjà intrinsèquement très fragile. Pour le réalisateur brésilien Francisco Bahia et sa productrice Alice Riff, l’année avait pourtant bien commencé : comme une dizaine de couples réalisateur/producteur, ils ont eu la chance d’être sélectionnés pour participer à La Fabrique Cinéma, un programme du dispositif « Cinémas du monde » de l’Institut français, destiné à accompagner la jeune création des pays dits « du Sud », dont l’accessibilité aux systèmes de financement des films est plus complexe que dans les pays « du Nord ». À travers ce programme, ils sont accompagnés dans le montage de production, et surtout, sont invités au Festival de Cannes – et à son marché, haut lieu de rencontres professionnelles, vitales pour lier des partenariats et trouver les financements manquants.

Incertitudes

Mais Covid oblige, l’édition 2020 de La Fabrique Cinéma s’est mutée en Fabrique online, avec un pavillon virtuel sur le marché du film en ligne, et une série de conférences et de rencontres par webcam interposée. Si rien ne remplace la magie du premier contact informel, qui permet parfois de tisser des liens, pour Francisco Bahia et Alice Riff, cet événement reste essentiel. Leur film, Babylon, documentaire sur la vie d’un immigré haïtien au Brésil, est déjà tourné à 30 %. Mais, de par son sujet, la production de Babylon a été doublement touchée par la crise sanitaire. « Les conditions de vie de nos personnages ont été sévèrement impactées par l’isolement social et les effets économiques de la crise », témoigne Francisco Bahia. « La communauté haïtienne du Brésil vivait déjà dans une situation très précaire. Ce nouveau scénario rend tout de plus en plus incertain. ». Et puis, la crise complexifie évidemment la recherche de partenaires financiers, vitaux pour mener à bien le projet. Quand ils ont appris l’annulation du Festival de Cannes, Francisco Bahia et Alice Riff étaient déçus. « Mais nous nous y attendions. Rapidement, c’était devenu inévitable », nous confient-ils. Heureusement, l’annonce du maintien de la Fabrique et du Marché du Film en ligne ont ravivé l’espoir. « Nous avons fait beaucoup de rendez-vous – virtuels – qui ont été très positifs », poursuit la productrice, saluant aussi l’importance fondamentale de La Fabrique de l’Institut français pour des projets complexes comme le leur. Mais tout cela prend du temps, bien plus qu’en période « normale ». Le projet de Babylon est né en 2018, et la reprise du tournage est prévue en mars 2021, au Brésil et en Haïti. En attendant, il ne faut pas baisser les bras. À titre personnel, bien sûr, mais aussi afin de ne pas décourager les protagonistes. Comme tout documentaire, Babylon est dépendant de la matière humaine qu’il filme – et il ne faudrait pas que ces personnages perdent la motivation et l’envie d’être les héros d’une histoire. Quand on vit dans une situation d’infinie précarité, il y a d’autres urgences.

Pour la démocratie

La crise du coronavirus n’est pas la seule difficulté qu’ont rencontrée Fransisco Bahia et Alice Riff au cours du développement du projet. Le Covid n’a fait qu’empirer une situation déjà catastrophique au Brésil. « Avec la terrible situation politique que nous traversons depuis quelques années, le moindre financement est très complexe à rassembler », explique la productrice. Il faut dire que l’élection en 2019 du président d’extrême droite Jair Bolsonaro à la tête du Brésil a été une douche froide. « Babylon avait été reçu pour obtenir une aide d’Ancine [l’Agence nationale du cinéma brésilienne, l’équivalent du CNC, ndlr], mais le processus s’est totalement arrêté », témoigne le duo. « Les projets de films qui parlent de droits de l’homme, comme le nôtre, ne sont pas favorisés dans la situation actuelle. Ils ont en vérité très peu de chances d’obtenir un investissement public. ». Alice Riff et Francisco Bahia ne se font plus d’illusions. « C’est un gouvernement qui a opéré systématiquement un démembrement, non seulement du cinéma et de la culture brésilienne, mais aussi de l’éducation, de la santé, et des droits de l’homme ». Ils n’ont pas peur de qualifier le pouvoir en place d’« antidémocratique ». Mais là aussi, il y a de l’espoir. « L’opposition est de plus en plus forte, et je suis certain que le gouvernement de Bolsonaro ne va plus durer longtemps », confie le réalisateur. Et leur combat pour produire et réaliser Babylon est aussi une forme d’opposition, de résistance.