Conversation avec Karim Moussaoui

Festival Premiers Plans d’Angers 

Le réalisateur Karim Moussaoui présidait le jury courts-métrages du 30e Festival Premiers Plans d’Angers en janvier. L’occasion d’une rencontre d’avant mission, avec l’auteur remarqué des Jours d’avant et du premier long En attendant les hirondelles.

C’est votre première fois dans un jury ?

C’est ma troisième fois, après un petit festival du film d’éducation à Evreux, et le festival de Namur, en 2014 je crois. Premiers Plans d’Angers, c’est à part. J’ai connu le festival en 2013. J’ai été auditeur libre aux ateliers d’Angers. J’ai connu Claude-Éric Poiroux, Xavier Massé et un peu tout le staff. Je suis venu présenter Les Jours d’avant en 2014 (Grand Prix du jury courts-métrages français). Dans le cadre de mon travail à l’Institut français d’Alger, on a mis en place des opérations de partenariat, qu’on appelait les laboratoires d’Alger. Chaque année, fin mai-début juin, trois courts-métrages documentaires sont produits à l’Institut français, puis présentés à Angers. Quand Claude-Éric m’a proposé d’être dans le jury cette année, j’ai tout de suite dit oui. Il ne savait pas si j’allais être président du jury court-métrage, ou dans le jury long-métrage. L’essentiel était d’être ici et de voir des films. J’accepterais pour n’importe quelle mission de revenir.

Vous travaillez toujours à l’Institut français d’Alger ?

J’ai malheureusement arrêté parce que je n’ai plus le temps. J’ai essayé de tenir le plus longtemps possible, en étant réalisateur et en continuant le travail de programmateur, mais c’est devenu un peu compliqué. Il a fallu faire un choix. Ayant envie de continuer à faire des films, j’ai donc dû céder ma place.

Vous y avez travaillé pendant combien de temps ?

Dès 2009, avec des absences de quelques mois pour faire les moyens-métrages et pour la résidence de la Cinéfondation. Je m’occupais essentiellement de la programmation. De temps en temps, on mettait en place des formations, puisqu’il n’y a pas d’école de cinéma en Algérie. On essayait d’aider les jeunes à travailler sur leurs projets, qu’ils puissent acquérir une forme d’expérience, en deux semaines d’atelier. Les gens se rencontrent, voient comment se passe un plateau de tournage, comment monter un projet, avoir des pistes de réflexion. Une sorte de formation accélérée, où on peut aborder des aspects de production et réalisation, avec des intervenants.

Comment fait un(e) aspirant(e) cinéaste en Algérie pour passer à l’acte ?

Il faut souvent se débrouiller seul. Mais assez vite, on se rend compte des limites. On a besoin d‘apprendre de quelqu’un, d’un livre, d’un film, et on n’a pas envie d’être tout le temps seul. Les ateliers permettent de réunir tous ces jeunes. C’est stimulant de travailler en groupe.

Grâce à ces ateliers, vous avez vu des réalisateurs continuer, persévérer ?

Oui. Pas encore jusqu’au long-métrage, mais qui ont fait des courts et aspirent à faire un long. On voit bien que ça marche et c’est pour ça qu’on continue. La quatrième édition vient d’avoir lieu.

Avec des aides de l’état ?

Il y a des partenaires algériens, et essentiellement le soutien de l’Ambassade de France. Et puis il y a des chaînes de télévision pour le matériel, et d’autres partenaires privés, suivant les éditions, les films, et les besoins des ateliers.

Tout doit être pensé et tourné en Algérie, ou certains sont tentés d’aller filmer ailleurs ?

L’idée est de rester, de faire des images là-bas, que les jeunes racontent leur quartier, parlent de ce qu’ils ressentent et de ce qu’ils ont envie d’exprimer. L’idée est de rendre moins compliquée la démarche de prendre une caméra, de se poser des questions, d’écrire, de chercher. Souvent, quand on a envie de réaliser, on ne sait pas comment commencer.

Vous avez toujours su que vous vouliez réaliser ?

Non. J’avais fait un premier court-métrage, avec l’envie de tenter une expérience de réalisation, parce que je regardais beaucoup de films, mais juste pour m’amuser, parce que j’aime tester. Et puis j’ai fait un autre court qui s’appelle Petit déjeuner, et je me suis dit que c’est magnifique de faire ça, de monter quelque chose qui n’existe pas et de le rendre visible. J’ai retenté l’expérience et c’est à partir de là que j’ai su que j’effleurais à peine les possibilités de ce qu’on peut faire avec une caméra, du son et des images. En Algérie, on ne se pose pas la question de savoir si on veut en faire son métier ou pas, parce qu’a priori tout nous dit que ce n’est pas possible, et qu’il faut travailler à côté. Mais j’avais envie de raconter des histoires.

Comment vous êtes-vous formé ?

Je suis passé par rien pour le premier court. Comme je n’avais pas de caméra, je m’amusais avec un appareil photo à changer les focales, à regarder, à imaginer des plans et comment je pourrais les monter. Un jour, j’ai pu avoir un logiciel de montage, que j’ai installé sur un vieil ordinateur, qui n’était pas assez puissant. Pour mon court-métrage Petit déjeuner, j’avais une image un peu dégueulasse, mais pour visualiser ce que je montais, j’étais obligé de ne pas trop faire le rendu. Pour exporter le film, ça a pris toute la journée. Quand j’ai eu le fichier final, je n’ai pas pu visionner parce que l’ordi ne supportait pas le poids total. J’ai dû réexporter et compresser. Ça m’a pris trois jours pour visualiser le film fini ! À l’époque, c’était des cartes d’acquisition, il fallait attendre la durée du film. Je ne savais pas comment faire pour le diffuser. Je le montrais à des amis, des personnes qui faisaient des courts-métrages comme moi, et il y a eu un festival en 2003. J’ai enfin pu le montrer à un public. Le deuxième court s’est fait dans de meilleures conditions. Puis le troisième, Les Jours d’avant, c’était du super 16, là on passe à autre chose.

Les festivals restent une étape essentielle pour un jeune réalisateur ?

Bien sûr, parce qu’un court-métrage n’est souvent ni produit ni distribué. On va trouver le public dans les festivals, et c’est ça qui donne le courage de continuer, d’arrêter ou de s’améliorer. C’est là aussi qu’on est confronté à la critique. On se rend compte que tout ça a un sens. J’ai fait plein de choses, de boulots, j’ai arrêté les études, et je n’ai jamais été capable d’être constant. On parlait souvent de mon instabilité. D’un coup, j’avais l’impression qu’avec le cinéma il était possible de faire quelque chose dans la durée, de vivre le partage dans une forme de joie et de bonheur qui me convenaient. C’était la première fois que je ressentais ça.

Être aujourd’hui en festival pour regarder, commenter, récompenser, cela vous fait quoi ?

Je me rends compte à quel point c’est apporter une appréciation qui est subjective. C’est un honneur qu’il faut faire avec humilité, pour que les réalisateurs sachent qu’une appréciation d’un jury reste relative, ce n’est pas une vérité absolue. Les films récompensés nous ont forcément touchés, mais ceux qu’on ne récompensera pas ne seront pas forcément mauvais. C’est un jeu qu’on accepte tous. Le plus important est de voir tous ces courts-métrages que je n’aurai jamais l’occasion de voir dans ma vie de tous les jours ou à la télévision, même s’il y a des programmes que je regarde parfois. Je ne veille pas assez tard.

Connaissez-vous vos co-jurés ?

J’ai rencontré Fyzal Boulifa (réalisateur des courts The Curse et Rate Me) au festival de Locarno, au moment où je collaborais à la plateforme de rencontres Open Doors, avec des partenaires, distributeurs, producteurs. Il travaillait aussi sur son long-métrage. Quant à Céline Devaux (réalisatrice du Repas dominical et de Gros chagrin), je ne la connais pas, mais je sais qu’elle a réalisé de nombreux films d’animation, dont certains sont allés à Cannes. J’ai hâte de les rencontrer.

Quid des festivals de cinéma en Algérie ?

Une des références pour moi reste les Rencontres Cinématographiques de Béjaïa, festival très ancré, qui pendant plus de dix ans a fait un travail formidable en éduquant les jeunes au cinéma, en organisant des projections et formations. C’est un festival qui comme Angers draine énormément de monde. Il est non compétitif. Le but est de voir le maximum de films frais, d’Algérie, de France, d’Europe, du monde entier, avec des ateliers d’écriture de scénario. Récemment, une plateforme a été mise en place pour connecter des projets à des partenaires, producteurs ou distributeurs. Le festival du film engagé d’Alger marche aussi très bien, et le festival du film arabe d’Oran continue avec des hauts et des bas, car il s’est confiné dans le monde arabe.

Comment se finance aujourd’hui un film algérien ?

Il y a uniquement le fond du ministère de la culture. Malheureusement il est limité, donc on ne peut pas produire qu’avec cet argent-là. Les chaînes de télévision ne financent pas, les régions non plus. Il faut aller chercher des partenaires en France ou ailleurs. Certains films arrivent à se faire avec seulement le peu de moyens du ministère de la culture, mais dans des conditions très compliquées. Ça n’encourage pas les réalisateurs à retravailler de cette manière-là. La coproduction est devenue une réalité et une nécessité.

Y-a-t-il des partenariats entre pays arabes ?

Cela a commencé, mais les guichets sont réduits. Au sein de chaque pays, on ne trouve qu’un seul guichet, alors qu’en France on en trouve plusieurs. Généralement, les productions cherchent plutôt l’aide au nord, même si des expériences de coproduction sud/sud ont été tentées. Mais je ne crois pas qu’assez d’argent a pu être trouvé pour travailler confortablement. Il faut trouver d’autres moyens. Les chaînes de télévision dans les pays du sud ne jouent pas encore le jeu.

Vous pensez que ça peut bouger ?

Peut-être, mais j’ai l’impression qu’en Algérie, on n’a pas encore compris les enjeux et la nécessité d’encourager ce secteur-là. Un secteur économique très important qui peut créer de l’emploi, générer de l’argent, même s’autofinancer avec le temps, et créer une dynamique qui peut donner envie de créer des écoles, générer des images, faire la promotion d’un pays. Un pays a besoin de produire ses images, qu’elles soient bonnes, mauvaises, critiques ou pas. Sinon on est condamnés à ce que ces images soient produites par d’autres.

L’arrivée sur les écrans de votre film En attendant les hirondelles et des Bienheureux de Sofia Djama témoigne d’une énergie créative du jeune cinéma algérien. Il se passe quelque chose en ce moment ?

Je ne sais pas. Il y a eu dès le début des années 2000 pas mal de jeunes réalisateurs qui ont commencé à faire leur premier court-métrage. Certains ont continué, d’autres non. Ils n’ont pas réussi à faire les quelques festivals qui auraient pu faire parler d’eux. Ces dernières années, notre manière de travailler a un peu changé, en termes de financement et de présence dans les festivals internationaux. Est-ce que ça annonce une nouvelle génération de cinéastes ? Certainement. Combien de temps ça va durer ? Je ne sais pas. L’état algérien va-t-il réagir ? Va-t-on rebondir, profiter de cette exposition pour relancer le secteur du cinéma ? Je ne sais pas. C’est fatigant de faire tout le temps avec des systèmes D. Il faut vraiment arriver à créer les conditions nécessaires pour créer avec le minimum de conditions sinon ça va s’écrouler, s’épuiser. Je vais continuer à travailler en coproduction avec l’Algérie et la France parce que c’est beaucoup plus intéressant d‘avoir des partenaires et des collaborateurs qui interviennent avec leurs points de vue différents. Ça pousse à ce que notre propos soit bien entendu. Que ce ne soit pas juste un point de vue exclusivement algérien, enfermé sur lui-même.

Le titre arabe d’En attendant les hirondelles est une traduction littérale du titre français ?

Non, c’est un titre que j’avais envisagé à un moment au montage. C’est La Nature du temps. Et comme En attendant les hirondelles est un peu long en arabe, on a opté pour ce titre plus court.