Contre la mort : un cinéma pour croire

Entretien avec Guillaume Nicloux, réalisateur de Thalasso

Quelques années après avoir été enlevé, Michel suit une cure de thalassothérapie à Cabourg. Privé d’alcool et de cigarettes, il rencontre Gérard, qui tente lui aussi d’esquiver les règles strictes. La cure se poursuit de manière relativement ordinaire lorsque Michel est de nouveau contacté par ses anciens ravisseurs : Ginette, matriarche de plus de 80 ans a disparu, après s’être séparée de Dédé… Cinq ans après L’Enlèvement de Michel Houellebecq, Guillaume Nicloux poursuit le jeu entre réalité et fiction dans une comédie aux obsessions très sérieuses : la mort et la peur de mourir.

« C’est fou ce que je ressemble à un prêtre ». Quand il regarde les photos qu’on vient de prendre de lui, Guillaume Nicloux semble presque surpris de découvrir son visage. C’est vrai que sa barbe et ses cheveux mi-longs tirés en arrière lui donnent l’air d’un père franciscain, auprès de qui on pourrait chercher d’humbles et doctes conseils. Pas un hasard, car Guillaume Nicloux aurait pu devenir prêtre. À la place, il est devenu l’auteur d’un cinéma nourri de religiosité.

 

Le Nicloux universe

Dans Thalasso, on retrouve le Houellebecq de L’Enlèvement de Michel Houellebecq et le Depardieu de Valley of Love, réunis. Pour autant, le cinéaste ne considère pas ce troisième film comme une suite des précédents. « On suit les mêmes personnages, mais on peut voir chacun des films indépendamment », précise Guillaume Nicloux, qui rapproche volontiers Thalasso de The End, film avec Gérard Depardieu, sorti en e-cinéma en 2016. « La création de ces films répond d’une étrange intuition, entre quelque chose de très spontané et d’autres choses qui nécessitent plus de mûrissement. Valley of Love était un film plus structuré, puisqu’il avait été écrit pour Ryan O’Neal [acteur connu pour Barry Lyndon, ndlr], qui devait jouer le rôle de Gérard  ». En réalité, « c’est l’expérience des films précédents qui nourrit les prochains », précise le cinéaste. S’ils ne sont donc pas des suites à proprement parler, il y a entre les derniers films de Guillaume Nicloux une filiation très forte.

Alors que Thalasso est, clairement, une comédie, il continue toutefois, après Valley of Love, The End et Les Confins du monde, à explorer des thématiques chères au réalisateur, celles de la mort et de l’espérance. Deux sujets/questions particulièrement présents aussi chez Michel Houellebecq, dont l’exposition qu’il a réalisée au Palais de Tokyo en 2016 s’appelait « Rester vivant » – Michel Houellebecq, qui a aussi récemment signé une tribune dans Le Monde contre l’arrêt des soins de Vincent Lambert, et qui a fait de la mort le thème central de son dernier roman, Sérotonine. Une des obsessions du personnage de Houellebecq dans le film de Nicloux est justement la « résurrection des corps ». Une scène particulièrement émouvante le montre débattre avec Gérard Depardieu, sceptique, et soudain éclater en sanglots à l’évocation de sa grand-mère, qui l’a élevé et dont il a pris le nom de famille (son nom de naissance étant Michel Thomas). Si certains passages sont ainsi très émouvants, le ton dans l’ensemble plus léger de Thalasso par rapport à Valley of Love ou aux Confins du Monde permet à Guillaume Nicloux « de prendre plus de hauteur par rapport à ce sujet grave, de l’aborder avec plus de distance, dans un exercice plus ludique ».

 

Ce qui est vrai

Un ludisme dû au jeu permanent avec les personnages réels – et médiatiques – de Depardieu et Houellebecq incarnés par eux-mêmes dans le cadre d’une fiction écrite. Ce jeu, mécanisme d’un certain humour (comme lorsqu’un prétendu fan de Houellebecq le confond obstinément avec Yann Queffélec) permet aussi le développement d’un travail d’autant plus fort sur l’intime que ces personnages réels, bien que connus de tous, sont très rarement dans une sphère intime. Ainsi, jouant ce jeu jusqu’au bout, Michel Houellebecq apparaît au début du film en compagnie de sa femme Qianyum Lysis Li. « On voit ces personnages qu’on connaît dans des situations qui paraissent presque réelles, interagir comme on pense qu’ils interagiraient dans la vie », développe Guillaume Nicloux. Pourtant, Thalasso ne fait jamais semblant d’être un documentaire, et s’affiche toujours et avant tout comme une fiction. Mais en distillant justement dans cette fiction presque trop de réel, le trouble n’en est que plus fort. « Avec un alibi fictionnel, on essaye surtout de capter des moments de vérité », explique le cinéaste. Pour Nicloux, « le fait d’endosser le costume de soi-même dans une histoire qu’on invente, permet d’être, curieusement, plus proche de ce qu’on est ». Le film de fiction aurait ainsi les vertus d’une expérimentation psychanalytique. « En passant derrière le jeu, l’acteur dépasse sa pudeur qui l’empêche souvent de se livrer d’une façon non contrôlée », analyse le réalisateur, que l’exercice met aussi à contribution. « Dans un film comme Thalasso, je me sens moins comme un grand manitou qui essaye de tout diriger. C’est ça qui est finalement le plus dur, c’est de désapprendre le plus possible, pour retrouver une fraîcheur qui permet de se débarrasser de la posture du réalisateur qui est censé tout savoir et tout gérer, et d’essayer d’aller dans des zones plus troublantes, moins balisées, et qu’on n’essaie pas de rationaliser. Au contraire, il faut essayer de faire confiance aux rapports qu’on établit, à ce qui se passe au moment de faire les choses ». Pour autant, il ne faudrait pas voir dans Thalasso un objet filmé au gré des hasards. C’est un film avec une vraie histoire, un scénario écrit à l’avance, dans lequel l’inattendu est recherché, bienvenu, provoquant ainsi des séquences drôles ou émouvantes d’un réalisme déstabilisant.

Croire, avant tout

Une histoire qui ne se résume pas non plus à un simple prétexte, mais qui est passionnante en soi, car rarement abordée au cinéma : la séparation d’un couple très âgé. Pour les petits-enfants de Ginette, il est inconcevable qu’elle se sépare de Dédé, son mari depuis des décennies. En réalité, dans son rôle de personne âgée, il leur paraît invraisemblable qu’elle ait, à son âge, des envies personnelles. Comme si la Mort était déjà là, l’accompagnant partout – aux yeux des autres – comme un avertissement de sa fin imminente. S’opposent ainsi deux rationalités : « Je vais mourir » et « Je vis encore ». Et entre elles, une fervente croyance en une autre vie possible. « Tous mes films sont empreints de mysticisme, d’une forme d’ésotérisme », souligne Guillaume Nicloux. Mais s’ils flirtent avec le fantastique, ni Valley of Love ni Thalasso ne présentent des événements fantastiques manifestes. Ils portent plutôt l’espoir d’une vie dans l’au-delà, d’une mort qui ne serait pas la fin de tout. Un cinéma pour croire, sans aucune certitude. Un cinéma contre la mort. Un cinéma de l’espérance. Une notion éminemment chrétienne, qui compte pour Guillaume Nicloux : « Pour moi, chrétien, ça veut dire quelque chose, même si je ne le suis pas. Si le catholicisme n’est pas respectable aujourd’hui, avec son protectionnisme complètement dément, il y a un vrai humanisme dans la chrétienté, quelque chose de plus large, de plus généreux ». Celui qui a réalisé en 2013 une adaptation de La Religieuse de Diderot, a aujourd’hui une vision davantage panthéiste de la foi. « Jusqu’à un certain âge, j’ai eu l’envie d’intégrer des fonctions religieuses, poursuit le réalisateur. Je sais ce que ça provoque de croire, mais je ne crois plus. Je ne crois plus en ça. »