En classe (virtuelle) avec Éric Toledano et Olivier Nakache

À l’occasion des cours à distance organisés pendant le confinement, les réalisateurs Éric Toledano et Olivier Nakache ont participé à plusieurs rencontres « virtuelles » avec des lycéens. Bande à Part a assisté à l’une d’elles.

« Vous souhaitiez raconter une histoire personnelle ou parler d’un sujet de société ? », demande Simon*, 16 ans, élève de première au Lycée Heinlex de Saint-Nazaire à Éric Toledano. Le coréalisateur de Hors Normes lui répond : « Tout part d’une histoire personnelle, celle de Daoud Tatou, que je connais bien. Il est responsable d’une association dédiée à l’autisme, et son personnage a inspiré celui de Reda Kateb dans le film ». Comme Simon, une centaine de lycéens français ont ainsi pu poser leurs questions aux réalisateurs de Hors Normes, Éric Toledano et Olivier Nakache. À l’origine, il y a le César des lycéens, une initiative conjointe de l’Académie des César et du ministère de l’Éducation Nationale, née au courant de l’année scolaire 2018-2019, permettant à une centaine de lycéens de terminale d’élire leur film français préféré de l’année, parmi une sélection préalablement établie (dans l’esprit du Goncourt des lycéens). Après Jusqu’à la garde de Xavier Legrand en 2019, le jury 2020 a élu le film Hors Normes. Pour Éric Toledano et Olivier Nakache, c’est une surprise et un honneur. Selon les statistiques, les ados sont le public le plus difficile à toucher au cinéma, et le duo de cinéastes le sait bien. Dès lors, les réalisateurs accueillent la nouvelle avec beaucoup de plaisir, d’autant que c’est l’occasion d’échanger sur le film et surtout sur son sujet – les associations d’accompagnement de personnes autistes – et s’ils ont tourné Hors Normes, c’était aussi pour ça. Dévoilé le 4 mars, le prix devait être remis le 11 mars 2020 au grand amphithéâtre de la Sorbonne, devant 1500 lycéens réunis pour une master class des cinéastes lauréats. C’était avant que l’on réalise l’ampleur de la crise sanitaire à venir. En dernière minute, l’événement est annulé, et une semaine plus tard, la France sera « confinée »…

Face-à-face

Rapidement, les élèves et étudiants de France abandonnent les bureaux de leurs salles de classe au profit de l’école à la maison. Mais le César des lycéens n’est pas oublié. Au contraire, il peut être l’occasion d’inventer autre chose. « Avec le Covid, les lycéens ont été frustrés de ne pas nous rencontrer, et ce fut réciproque », se souvient Éric Toledano. « On s’est alors demandé avec le ministère comment, malgré le confinement, créer l’opportunité de ce dialogue avec les lycéens ». En collaboration avec le CNED, le Centre National d’Enseignement à Distance, gérant le dispositif « Ma classe à la maison », le ministère de l’Éducation Nationale propose ainsi aux deux cinéastes de rencontrer virtuellement des dizaines de lycéens, à défaut d’avoir pu les voir « physiquement ». Associé au projet, le distributeur Gaumont met en place des liens sécurisés à destination des élèves, pour qu’ils puissent voir ou revoir le film chez eux, et ainsi préparer leurs questions. En effet, les lycéens participant à cette « classe virtuelle avec Tolédano et Nakache » ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui avaient participé au programme du César des lycéens. Ainsi, tout au long du confinement, les cinéastes ont été les invités de près d’une dizaine de ces rencontres, où pendant une heure, sur le logiciel de visioconférence dédié aux cours en ligne Blackboard Collaborate (au fonctionnement proche de « Zoom »), une centaine de lycéens – issus de plusieurs établissements différents – ont pu poser des questions, un après l’autre, par webcam interposée, aux réalisateurs. Si, à l’instar d’une master class non virtuelle, un enseignant coordonne la rencontre, en posant des questions quand il n’y en avait pas de la part des lycéens, le dispositif – paradoxalement – offre aux élèves une proximité plus forte que lorsqu’une question est posée dans une grande salle pleine : lorsqu’un lycéen lève la main (virtuellement), il est invité par le coordinateur à poser sa question. Son visage apparaît alors en gros plan, face à celui des réalisateurs. « C’était amusant d’ailleurs de noter quels posters sont affichés dans les chambres, comme autant de références culturelles », s’amuse Éric Toledano. Dispositif webcam oblige, tous deux sont filmés dans leur intérieur, avec un sens du cadre approximatif – même si certains lycéens en profitent pour habiller leur décor, à grands coups d’affiches de cinéma ou de claps présents dans le cadre.

Le vrai, le faux

Pas aussi intimidant qu’une « vraie » discussion face-à-face, le dispositif offre néanmoins aux lycéens l’opportunité de parler directement, presque d’égal à égal, avec les réalisateurs, qui jouent le jeu avec beaucoup de générosité. Et cela, de la même manière qu’il s’agisse d’un lycée de Paris ou de province, de ville ou de milieu rural. Une égalité d’accès aux rencontres culturelles, habituellement assez rare à l’école, dont le seul facteur discriminant est la qualité de la connexion internet. Simple, efficace, le dispositif plaît tant aux jeunes, qui en redemandent, qu’aux cinéastes. « À un moment, je croyais que le micro était coupé, mais il était resté allumé, et j’ai dit « punaise, c’est génial ces échanges ». Ils m’ont entendu, et j’ai eu plein de retours sur les réseaux sociaux… », plaisante Éric Toledano. À lui comme à Olivier Nakache, ces échanges ont donné plein d’idées. « C’est une génération pour laquelle le discernement est plus dur que ça ne l’a été pour nous : l’information circule à cent à l’heure, le faux et le vrai se mélangent en permanence. », raconte le cinéaste. Si au fur et à mesure des master class, les questions varient, d’autres reviennent bien souvent. « Pour eux, la grande question, c’est : est ce que c’est vrai, ou est-ce que c’est faux ? », se souvient Éric Toledano. « On y a beaucoup repensé et ça nous a donné envie de parler de ça dans un prochain film… ». D’ici là, le duo compte bien poursuivre les rencontres avec des lycéens, y compris « in real life », comme on dit, lorsque ce sera possible. Le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, se sont engagés auprès des réalisateurs à organiser une tournée pour présenter le film à des publics scolaires à travers la France. « C’est des choses qui marquent. Je me rappelle encore des sorties théâtre et ciné qu’on a faites avec l’école quand on était gamins », raconte Éric Toledano. « Et d’avoir l’opportunité d’avoir un échange un peu plus profond sur un film avec un prof de français ou de philo, c’est essentiel. Le film, c’est un énorme médium pour échanger avec les jeunes. Parce que le cinéma leur parle, comme il parle à tout le monde ».