Jean-Pierre Darroussin vu par Anna Novion

Qu’évoque pour vous la silhouette de Jean-Pierre Darroussin à l’écran ?

Dans Les Grandes Personnes, le rôle qu’il interprétait me faisait penser à un personnage de bande dessinée, proche de Jacques Tati, d’une autre époque, ce qui n’est pas le cas dans ce film. Dans Rendez-vous à Kiruna, il incarne un homme beaucoup plus proche du monde d’aujourd’hui. J’avais envie qu’il soit le plus beau possible. La barbe, les cheveux… j’ai souhaité qu’il ait une très belle allure. Je lui disais qu’Ernest avait du charme et que les femmes pouvaient facilement lui succomber, sans qu’il soit un séducteur pour autant. Et plus le film évolue, plus il devient vulnérable. On a travaillé sa posture dans certaines séquences, comme celle de la morgue où on le voit s’éloigner au loin, en silhouette, de dos. J’aime beaucoup travailler sur les dos, car je trouve qu’ils racontent parfois plus de choses qu’un personnage vu de face. Dans cette séquence, on a un peu travaillé sa démarche, les épaules rentrées. On sentait à cet instant qu’il était moins sûr de lui. C’est un exemple.

Par ailleurs, Jean-Pierre est un comédien qui comprend très bien les personnages. Là, du fait qu’on vive ensemble, il a été partie prenante du projet dès le début il y a quatre ans. Je n’avais donc plus tellement à lui parler de son rôle au moment de la préparation ! J’ai l’impression qu’il aime Ernest aussi parce que ça fait quatre ans qu’il le côtoie ! Ça s’est donc fait facilement. En outre, Jean-Pierre est quelqu’un qui propose énormément de choses sur un plateau, contrai­rement à d’autres types de comédiens qui vont trouver leur axe, puis creuser leur sillon. Lui, peut proposer quelque chose et son contraire à la prise d’après.

Anna Novion, réalisatrice de Redndez-vous à Kiruna avec Jean-Pierre Darroussin.

Un exemple ?

Je me souviens d’une scène entre Stig et Ernest qui discutent au bar. Il y a eu une prise où Jean-Pierre a eu les larmes aux yeux. Cela m’a beaucoup touchée, mais j’ai su que ça ne me touchait pas de la bonne façon. Je savais qu’au montage, ce serait trop. Il est très important pour moi d’être toujours dans une forme de pudeur. Ce plan-là, même si Jean-Pierre y était formidable, n’était pas juste par rapport au cinéma que je fais. On a donc réajusté.

Comment percevez-vous la musique de sa voix ?

Je trouve qu’il a une voix grave et posée. Ce qui m’impressionne chez Jean-Pierre, c’est que lorsqu’il parle, on l’écoute. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’il soit connu, il a ça en lui. Il ne prend jamais la parole pour la monopoliser gratuitement, ni pour attirer l’attention sur lui. Et pourtant, lorsqu’il parle, il captive. C’est dû à sa façon de poser les mots. Il ne s’en rend pas compte. C’est inné.

Jean-Pierre Darroussin vu par Anna Novion pour le film Rendez-vous à Kiruna.

Ses silences sont particuliers, aussi…

Je me souviens du moment où Jean-Pierre avait accepté de jouer dans mon premier film, Les Grandes Personnes. On se connaissait à peine. On avait déjeuné plusieurs fois ensemble pour discuter du personnage, et j’ai été très troublée par ses silences. Je suis quelqu’un qui a peur des blancs. Il faut vraiment que je sois très en confiance pour être à l’aise avec ça. Pour combler ces blancs, je parle donc beaucoup et je dis des bêtises, tandis que lui, c’est l’inverse ! Il a aussi l’esprit d’escalier, il peut donc revenir sur quelque chose que vous avez dit précédemment, dix minutes plus tard. C’est quelqu’un qui écoute vraiment.

ARRÊT SUR IMAGES

Deux ans avant le tournage de Rendez-vous à Kiruna, Anna Novion et Jean-Pierre Darroussin ont traversé la Suède en voiture. D’autres repérages ont suivi. Retour sur les décors de ce road movie, commentés par Anna Novion.