Cannes 2018 : Chanter sa liberté et son amour

Leto, Cold War, Whitney, Guy

Dans quatre films de Cannes, une chanson vaut mieux qu’un grand discours et transcrit de manière sensible les petites et les grandes histoires.

L’Été (Leto) du Russe Kirill Serebrennikov est à la fois la chronique d’une époque (le début des années 1980), le portrait d’un pays (la Russie encore soviétique), un film rock (avec une forme librement débridée), et le récit de deux chanteurs. Bien que ce soit l’histoire vraie de Viktor Tsoi du groupe Kino et Mike Naumenko, leader du groupe Zoopark, deux rock-stars disparues en 1990, il s’agit moins d’un biopic qu’une immersion intime dans leur quotidien romantique en quête de liberté et d’absolu, dans lequel le sentiment de rivalité est étranger, ces deux chanteurs de générations différentes se soutenant avec bienveillance.

Les personnages chantent leur rébellion contre l’autorité (omniprésente) et la censure comme des enfants insouciants, sans calcul militant. Que ce film soit réalisé par un cinéaste assigné à résidence accroît l’impact universel du propos. La chanson est le carburant d’un film énergisant plein de tendresse. Leto est le film qui définit le mieux le rock : mélange de folie galvanisante et de douceur romantique. La chanson déclame ici la révolte et l’amour dans un même mouvement dévastateur.

Leto de Kirill Serebrennikov. Copyright Droits réservés.

L’autre film slave de la compétition cannoise, Cold War du Polonais Pavel Pawlikowski (Oscar du meilleur film étranger pour Ida), emploie également la chanson comme un moyen d’exprimer sa soif de liberté et d’amour. La superbe actrice Joanna Kulig (Zula) était déjà chanteuse dans Ida. Elle interprète ici plusieurs titres d’amoureuse, notamment en français dans le Paris des années cinquante (Le Coeur, qui parle de deux cœurs qui ne parviennent pas à se rapprocher) ou certaines mélodies de Gershwin (The Man I Love et I’ve Got a Crush on You). Zula est amoureuse d’un musicien, Wiktor, dans un contexte de privation des libertés (la guerre froide) où leur union est impossible. En exil à Paris, elle rêve de faire carrière dans la chanson. Ces chants permettent au cinéaste d’illustrer les éléments de son récit (l’exil et la passion) en évitant que cela soit trop explicité dans les dialogues.

Guy de Alex Lutz. Copyright Apollo Films.

Avec Witney, documentaire sur la chanteuse Whitney Houston réalisé par Kevin Macdonald, on retrouve l’idée d’un destin collectif (le statut d’une diva de la chanson) mêlé à un parcours intime. Les chansons évoquent sa vie personnelle, le film s’intéresse à déceler la « vraie » Whitney derrière l’icône. Il s’agit alors de décrypter les signes derrières les « tubes » connus et reconnus. La chanson est un moyen universel d’aborder une gravité et une fragilité. Elle est un pont entre des maux intérieurs et des mots devenus communs.

Enfin, Guy, comédie d’Alex Lutz, est un nouvel exemple de transmission par la chanson. Il s’agit de la relation entre un chanteur sur le retour, Guy, et de son fils journaliste, Gauthier, qui part en tournée avec son père pour en faire le portrait. Les récits intime et public se mêlent. La chanson fait le lien entre le spectacle et les sentiments enfouis.

Ces quatre films sélectionnés au Festival de Cannes confirment les liens naturels qui existent entre la chanson et le cinéma, véhiculant tous deux des sentiments, des récits, inventant des personnages, et dans le même temps se complétant, la poésie de l’une se mariant à la prose de l’autre.

 

Benoît Basirico