Michel Ciment, le cinéma en partage

Michel Ciment, auteur fécond – plus de quinze livres voués à sa passion-, est un encyclopédiste aussi vivant que gourmand, jamais rassasié de découvrir, d’explorer, d’analyser, et ce qui est plus rare, d’aimer ce qui le meut et l’émeut. Le titre de l’ouvrage de 500 pages qu’il publie chez Gallimard en atteste : Une vie de cinéma. Une vie, c’est bien de cela qu’il s’agit. Courant sur près d’un demi-siècle, la somme rassemble des textes parus pour la plupart dans L’Express,  Le Monde ou Positif.  Le fond est toujours… profond, mais la forme vagabonde, enchaînant savamment les approches les plus sensibles – en excluant la polémique critique – pour percer le mystère de la création, pour pénétrer l’intimité des créateurs, de Joseph Losey à Patrice Chéreau, de Francesco Rosi à Jeanne Moreau… Voyages, rencontres, hommages, essais, jusqu’à un délectable dernier chapitre, titré « Controverses ».

Picorons un peu. Un entretien avec Jean-Louis Trintignant en 1994 et ce passage, surprenant, où l’on apprend que Bernardo Bertolucci lui avait proposé le rôle de Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris ; « J’ai eu peur de ne pas avoir l’impudeur de tourner ce rôle tel qu’il était écrit… », dit-il… pudiquement, ajoutant : « On m’a proposé d’autres rôles que je n’ai pas voulus : Coppola, celui de Dennis Hopper dans Apocalypse Now et Spielberg, celui de Truffaut dans Rencontres du troisième type», rien que ça ! Également, en passant, très classe, des entretiens avec trois Prix Nobel de littérature ayant côtoyé le cinéma, le Britannique Harold Pinter, le Péruvien Mario Vargas Llosa, le Hongrois Imre Kertész. Et puis cette longue et passionnante conversation avec Coppola, en 1979, à Los Angeles, que j’ai eu le privilège de partager. Le maître nous a reçus allongé par terre pour cause de lumbago et a éclairé de façon inédite l’énigmatique conclusion de son Apocalypse : « La dernière fois que j’avais rencontré Marlon [Brando, NDLR], il était très gras et il me promit de maigrir. Je n’étais pas sûr qu’il tiendrait ses promesses, c’est pourquoi j’ai écrit une fin où il était très gros, au cas où… ! Et lorsqu’il est arrivé, il était très gros ! Mais il refusa aussitôt de tourner cette scène, qui utilisait comme ressort dramatique le fait qu’il était gros… Finalement, avec Marlon, nous sommes arrivés à cette conclusion abstraite, métaphysique, où tout se joue sur un visage, son visage ». Et c’est ainsi que, nous ayant pris par la main pour un tour du monde de la planète des faiseurs de rêve, la « vie de cinéma » de Michel Ciment est devenue la nôtre.