Une mère incroyable

L’amour à vif

Après s’être fait remarquer avec ses courts-métrages et son premier long, Franco Lolli avance encore d’un pas. Sa nouvelle création captive de la première à la dernière seconde, en revisitant le portrait de femme. Puissant, généreux et sans concession.

Litigante. Le titre orignal est concret et direct. Mot espagnol signifiant « avocat », métier qu’exerce farouchement l’héroïne, Silvia. Fonction qu’occupait aussi la propre mère du réalisateur, Leticia Gómez, ici actrice… dans le rôle de la madre ! Elle campait déjà une protagoniste déterminée et pilier de famille dans le court-métrage de son fils, Rodri. La boucle est bouclée avec cette aventure lancée en mai dernier en ouverture de la 58e Semaine de la Critique à Cannes. La stratégie de sortie française l’a rebaptisée Une mère incroyable, surfant sur Une femme fantastique, traduction littérale du récent succès chilien de Sebastián Lelio. Une force de frappe diluée ici dans la déclaration généraliste, même si tirée d’un dialogue du script.

Car le second long-métrage de Franco Lolli, après Gente de bien, est une œuvre brute. Une flèche décochée, qui file droit vers le cœur des enjeux. Une chronique existentielle dégraissée du pathos. Et pourtant pétrie d’émotion, parfois contenue, parfois explosive. Le jeune cinéaste colombien met en scène des femmes maîtresses de leur destin, qui assument leur vie et leurs choix, haut et fort. Silvia, fille de Leticia, affronte inlassablement la seconde, dans des joutes verbales où l’affect bouillonne. Pour justement faire face au monde, aux hommes, à la domination, à la soumission, à l’humiliation, à la corruption, l’aînée titille et tacle sa fille en permanence. Mais la cadette ne fléchit pas et renvoie les vérités, même si, entre elles, il y a leur fils et petit-fils, Antonio. Et un amour immense, mais à vif.

L’écriture est d’une richesse infinie. Subtilité des rapports, des échanges, des agencements de situations, professionnelles, familiales, sentimentales, vitales. L’urgence créée par la mort en marche nourrit le récit, et imbrique les fils narratifs dans un savant jeu de miroirs, où tous les personnages veulent rester debout. Mais la chute veille, quand l’entreprise révèle sa gangrène ou quand le corps ne répond plus. L’auteur place le féminin au centre, et le magnifie dans sa véracité quotidienne et combative, appuyé par le talent de ses coscénaristes Marie Amachoukeli (Party Girl) et Virginie Legeay, sa fidèle collaboratrice. Et quelle force de conviction, pour faire jouer le rôle principal par sa cousine Carolina Sanin, écrivaine et féministe, captivante de bout en bout, face au tempérament de feu de Leticia Gómez !