Une femme fantastique


Virage de la vie

Du cinéma classique à protagoniste finement écrit, qui touche au mélange des genres, de la chronique réaliste au film noir. Un métissage qui colle encore mieux au portrait d’une héroïne transgenre. Déjà salué pour Gloria, Sebastian Lelio prouve une nouvelle fois son grand talent.

D’une obsession initiale : « Que se passe-t-il quand on meurt dans les bras de la mauvaise personne ? », Sebastian Lelio et son fidèle scénariste Gonzalo Maza ont tiré une fascinante trame. Cent quatre minutes qui restent en tête bien après leur écoulement sur l’écran. Car l’aventure avance à pas de velours sur un fil dense. Celui de la vie d’une femme, qui renvoie chaque interlocuteur et interlocutrice qu’elle croise à ses propres questionnements identitaires. Marina est un personnage épatant. Elle règne sur l’intrigue, en la menant avec détermination, et elle magnétise le monde, qui doit se positionner par rapport à sa présence même.

Ours d’argent du meilleur scénario et Prix Teddy à la Berlinale 2017, Una mujer fantastica allie le rayonnement du cinéma classique à protagoniste finement écrit au mélange des genres cinématographiques, de la chronique réaliste au film noir. Un métissage qui colle encore mieux au portrait d’une héroïne transgenre, qui aurait dynamité en son temps l’univers de Fritz Lang, Otto Preminger, Vincente Minnelli, Douglas Sirk ou Billy Wilder. En digne héritier de ses aînés, et de la créativité espagnole de Pedro Almodovar, Lelio digère ses maîtres et crée sa patte. Une célébration de la féminité dans la continuité de son précédent long, Gloria. Et une audacieuse parabole sur la place de la singularité dans un pays passé de la dictature au capitalisme.

Mais une rupture aussi avec une avancée ambitieuse dans la maîtrise formelle. Le trivial se mêle à l’onirique, le médical au clinquant. Le cadre enserre les amours intenses du couple initial, puis glisse dans le mystère de Marina, qui a pourtant l’aplomb des personnages terriens. Les éclairages et les couleurs nocturnes la portent dans son élan qui passe toutes les embûches. Plus que l’énigme de son corps et de son sexe, qui restent cachés derrière les miroirs et dans les hors-champ, c’est son visage qui imprime toile et rétine. Celui de Daniela Vega, que le cinéaste élut d’abord comme guide pour défricher l’univers trans, puis à qui il proposa finalement d’incarner sa  mujer. Idée de génie.