Tout simplement noir

« Est-ce que l’on parle de communautarisme lorsqu’il n’y a que des Blancs dans un film français ? La question est aussi absurde concernant un film où la grande majorité des acteurs sont noirs. Je serai heureux le jour où je verrai un réalisateur prendre des acteurs noirs uniquement parce qu’ils vont porter son histoire et non parce qu’ils sont noirs ».

Jean Pascal Zadi (extrait du dossier de presse)

 

Tout simplement… merci ! D’une cinéphile et citoyenne, tant enfin un film a su, avec une fine intelligence, rendre compte de toutes les passions, inquiétudes et impasses liées, en France, à l’identité, qu’elle soit noire ou non. Il est d’usage de vanter les mérites du pays, le charme de ses contrées et de sa gastronomie, foie gras compris ; il serait plus juste d’y ajouter aussi la passion de l’identité nationale, et l’exception française qu’est son immense savoir-faire, d’une efficacité redoutable, en termes de fichiers policiers…

L’un des mérites (fort nombreux !) du film est de rappeler l’ordinaire de cette violence systémique de la police, prompte à se jeter sur tout ce qui est un peu moins blanc sous le ciel bleu de notre doux pays…

Finaud, faussement naïf, implacable, sachant doser tous les registres de l’humour, jusqu’au burlesque délirant – imaginer le cinéaste Lucien Jean-Baptiste torse nu hurlant des menaces en créole, machette en main, face à un Fabrice Eboué tout ébaubi, est une audace réjouissante le film met en scène un acteur sans travail, qui veut rassembler sa communauté, les Noirs, afin de dire stop à la discrimination et au racisme.

Tout simplement Noir. Copyright 2020 GAUMONT – C8 FILMS.

Interprété par le cinéaste lui-même, qui invente son propre clown, Jean-Pascal Zadi est persuadé, avec toute la sincérité d’un jeune rêveur, que ses comparses célèbres seront tous de la partie. Sans se démonter, il ose aller les voir, que ce soit Fary, Fabrice Éboué, Eric Judor Claudia Tagbo, Lucien Jean-Baptiste, Omar Sy, Lilian Thuram, ou Joey Starr. Commence alors à chaque étape de ce vrai-faux documentaire la valse des incompréhensions et stéréotypes, notamment à propos de la si sensible question de la couleur de la peau. Il est une constante que le racisme met en exergue, c’est l’extrême sensibilité corporelle face à laquelle nous sommes si démunis. Je dis nous comme je pourrais dire je, car ce film fonctionne telle une madeleine proustienne, où la réminiscence du passé va de pair avec la tristesse et l’autodérision. La peau nous est collée, plus encore que notre prénom, et elle demeure encore aujourd’hui source des pires fantasmes et violences. La séquence de casting avec Mathieu Kassovitz dans le rôle d’un cinéaste à la recherche de son Noir primitif en est la plus douloureuse des illustrations….

Mais comment transcender ce qui, à chaque fois, peut nous faire basculer dans la colère, la honte, ou, pire, l’extrémisme ? En agissant sur le champ des représentations, le cinéma devenant l’arme de destruction massive la plus tonique et corrosive qui soit. Souvenons-nous des films de Mel Brooks ; certes, Jean Pascal Zadi n’a pas exactement la même verve, mais il partage avec lui une acuité aiguisée vis-à-vis de tous les travers et démons de la société.

Premier long-métrage du cinéaste, coréalisé avec John Wax, Tout simplement Noir fonctionne par retournement et mise en abyme, autant des personnages que des situations. C’est par une adresse au public, le regard droit fixé devant la caméra, que s’ouvre le récit. Filmé par une équipe de télévision, notre héros est en colère. Il veut diffuser la bonne parole pour se faire entendre. Or, ici nous avons affaire à un artiste aux talents multiples, tout à la fois rappeur,  acteur et réalisateur. Il l’annonce d’emblée : il connaît tous les ressorts du cadre comme du hors-champ. C’est dans cette césure – comment le Noir reste encore hors des imaginaires et représentations, comme dans les failles du langage, que le film est percutant. La parole est ce vecteur commun où tout décolle, dérape, frappe et fait tilt, lorsque ce n’est pas un coup de poing qui surgit. Rire avec une telle jubilation des petites mesquineries et de la mauvaise foi de chacun, à commencer par soi-même, est aussi l’une des grandes saveurs de ce film unique, loin de toute tentation moralisatrice. Au contraire !

Il est courant de savourer le générique de fin d’une « comédie », qui, le plus souvent, y va de ses clins d’œil façon bêtisier sur l’envers du cinéma. Ici, Jean Pascal Zadi défie le roman national en réinscrivant sa présence d’homme noir parmi les grandes figures de l’Histoire, remontant jusqu’aux grottes de la préhistoire. Le cadre, cet enjeu structurant de toute altérité… Il faut saluer la puissance politique de ce geste, qui dit combien nous devons réinstaurer, dans le cadre de nos récits et imaginaires, celles et ceux qui ont été effacés. Au nom de la dignité et de la justice.