Tout ce qu’il me reste de la révolution

Engagée volontaire

Née trop tard pour la révolution, Angèle, comme ses parents avant elle, continue de vouloir changer le monde… Pas simple, de nos jours. Un premier film politique en forme de comédie légère. Le bonheur… ici et maintenant !

De ses parents, Simon et Diane, Angèle a hérité d’une saine et juste colère. Comme eux avant elle, elle milite. Même née « trop tard », en 1984, elle veut changer le monde, elle y croit. C’est pourquoi elle a choisi d’être urbaniste : pour construire des lieux où circulerait le lien entre les gens… Mais virée par ses patrons (de gauche) dès le début du récit — « C’est le monde qui est comme ça », lui disent-ils, penauds —, elle se retrouve sans emploi et revient vivre chez son père. Plutôt ça que le tête-à-tête avec un amoureux : « Avec Simon, on se comprend, on est sur la même longueur d’onde. Y a pas de “faut qu’on parle”, de “qu’est-ce que je suis pour toi ?”… »

Parce qu’un amoureux, Angèle n’en veut pas. Pas plus qu’un boulot dans le mainstream, comme sa sœur et son beau-frère. Angèle sait que tout est politique. Avec Léonor, sa meilleure amie, sculptrice de talent, elles font de l’agit-prop devant les agences pour l’emploi ou dans les banques. C’est ainsi qu’elles lancent un groupe de parole où chacun peut aborder le sujet qu’il souhaite, sans chef ni jugement… Et là, il y a Saïd, qui pourrait bien changer son monde…

Tout ce qu’il me reste de la révolution de Judith Davis. Copyright Agat Films & Cie.

Ce premier long-métrage signé Judith Davis et coécrit avec Cécile Vargaftig, librement inspiré du spectacle de théâtre Tout ce qu’il nous reste de la révolution, c’est Simon, du collectif « L’Avantage du doute », est emballant, foutraque, débridé et joyeux. Les questions que se posent ces êtres, seuls ou rassemblés, sont celles que nous sommes nombreux à nous poser, de façon transgénérationnelle, dans cette époque de repli sur soi où les luttes sont privées et univoques. À travers le personnage d’Angèle, interprété par la réalisatrice elle-même, on entre dans ce chaos des trentenaires, héritiers d’idées belles et bonnes dont les effets se font toujours attendre. Face aux lendemains qui ne chantent toujours pas, engagée volontaire, Angèle campe tant bien que mal sur ses positions intenables, mais peu à peu sa carapace se lézarde : elle se rapproche de Saïd, elle se rend en Ardèche chez sa mère…

Le film joue habilement des contrastes, entre cinétract et comédie, scènes très dialoguées et moments de silence, et là, ce qui est beau, ce sont les regards. Les yeux bleus d’Angèle sur Saïd, qui l’étonne, l’émeut, la fait rire… Les yeux bleus d’Angèle sur sa mère qu’elle redécouvre à chaque instant, comme surprise par sa présence, sa beauté, sa simplicité, sa voix… Mireille Perrier, icône du cinéma français des années 1980 (Boy Meets Girl de Carax ; Un monde sans pitié de Rochant) incarne à merveille cette mère symbolique et rêvée, cette femme douce qui fut dure au point de laisser son mari et ses enfants et partir s’exiler à la campagne… Les acteurs, du bienveillant Simon Bakhouche à l’étonnante Claire Dumas, en passant par le toujours pétillant Malik Zidi, font tous corps et troupe autour de la meneuse épatante qu’est Judith Davis, pétrie de certitudes et la minute d’après complètement perdue, ambivalente et émouvante. Baigné de musique russe ou d’un vieux tube soul de Wendy Rene (After Laughter Comes Tears), son film choral fait chaud au cœur et à l’âme, il pointe des vérités pas très drôles avec un sens aigu des situations et une bonne dose de dérision sur elle-même et sur l’époque.