Scenes From a Marriage

Anatomie d’un couple

Une gêne mutuelle pour se définir face à une étudiante en psycho enquêtant sur les couples monogames, un téléphone portable surveillé subrepticement, une main posée sur le bras de l’autre, quelques fugaces moues et mouvements, des regards surpris ou encourageants, des rires comme des soupapes… Dès les premiers instants de Scenes From a Marriage, on est happé, ferré. C’est une série, une fiction, au tout début on voit même, avant qu’elle ne devienne Mira devant la caméra, Jessica Chastain arriver, masque sur le nez (pandémie oblige) et se laisser diriger vers le  plateau par une régisseuse. Ceci n’est pas le réel, nous avertit le réalisateur, et pourtant…

Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman fut d’abord en 1972 une série de 6 fois 50 minutes environ au succès national très impressionnant ; avant de devenir, l’année suivante, un film de près de trois heures. Aujourd’hui, à la demande d’un des fils du réalisateur suédois, Daniel Bergman, une adaptation moderne signée Hagai Levi éclate sur nos écrans de télévision. Et c’est peu dire que le showrunner de Be Tipul devenu In Treatment /En analyse aux États-Unis et récemment, en France, En thérapie, renouvelle cette série et ce film culte. 

Scenes From a Marriage de Hagai Levi. Copyright HBO.

Le postulat est le même : un homme, une femme, ils ont la quarantaine, s’aiment et vivent ensemble depuis plusieurs années. Tout leur sourit et soudain, quelque chose se grippe, pour une raison très objective (différente de l’original) qu’on ne divulguera pas ici. Et une décision, pourtant en apparence prise en commun après longue discussion, fait vaciller le couple pourtant si solide en apparence. Trahissant en restant fidèle, Hagai Levi auteur et réalisateur des cinq épisodes, inverse les rôles, faisant de Mira une femme active constamment en déplacements et de Jonathan, un universitaire ayant le temps de gérer le quotidien du couple et leur petite fille Ava. De cette idée, en apparence simple, jaillit tout un faisceau de situations nouvelles, qui placent cette adaptation dans une modernité palpitante. Être une femme, un homme, une mère, un père, une épouse, un mari, être tout cela et continuer à être soi, voilà ce que Scènes de la vie conjugale, version américaine, propose aux spectateurs de 2021. Dans une maison en façade de lambris bleu profond et à l’intérieur clair et cossu (et qui joue un rôle pivot) se joue une chorégraphie des corps qui devient celle des âmes. Du plan-séquence frontal aux cadres singuliers évacuant un personnage puis l’autre, de la texture du son constamment habité des dialogues à celui des silences, en passant par tous ces objets familiers. Rarement, le bruit mat en off d’une canette de soda tombant dans un distributeur, tandis que la caméra filme en très gros plan le profil du mari, n’a à ce point évoqué la réalité du moment, le contexte et tout ce qui, dans sa vie, est en train, au propre comme au figuré, de tomber.

Jessica Chastain et Oscar Isaac sont quasiment de tous les plans et l’alchimie entre eux est totale. Amis depuis leurs années d’études de théâtre, couple de cinéma incarné depuis le magnifique A Most Violent Year de J.C. Chandor, ils parviennent ici, de nuances en frémissements, à nous faire ressentir, au-delà des mots dits (et bien dits) les infinies variations et arythmies de l’amour.