Sapphire Crystal

Vanités

Le temps d’une soirée, le cinéaste Virgil Vernier, adepte des propositions radicales, offre une virée nocturne avec la jeunesse dorée de Genève, aux frontières du documentaire.

Il y a d’abord, ce titre, Sapphire Crystal (il se prononce à la française mais s’écrit à l’américaine), dont on ne sait pas bien ce qu’il évoque. Un épisode méconnu de la franchise Pokémon ou une œuvre psychédélique d’Arielle Dombasle ? Il y a ensuite l’affiche, reprenant l’esthétique des conversations WhatsApp à grand renfort d’émojis « cœur », « bague avec diamant », « sac de dollars » et bien sûr « cristal ». Et enfin, il y a cette durée, batarde, étrange : 31 minutes. Un trop long court-métrage, un bien court long. Une durée qui permet au film de Virgil Vernier de s’affranchir de la chronologie des médias (réservée aux œuvres de « long-métrage » d’au moins 59 minutes), sortant (quasi) simultanément dans quelques salles, en VOD et en DVD. Il faut dire que depuis le coronavirus, avec ces titres pensés pour la salle et sortis sur Netflix ou Amazon, le temps est au braconnage. Alors tant mieux si un court-métrage est accueilli dans les salles obscures. C’est, en l’occurrence, un grand film de cinéma.

Après les tours jumelles de la Seine-Saint-Denis (Mercuriales, 2014), après les zones d’activité de la périphérie maralpine (Sophia Antipolis, 2018), c’est dans les boîtes de nuit de Genève que Virgil Vernier plonge cette fois son regard. En ressort un portrait passionnant, aux allures de documentaire (les jeunes acteurs sont non-professionnels et jouent, en quelque sorte, leur propre rôle) sur une jeunesse dorée qui s’ennuie. Avec Sapphire Crystal, Vernier étudie le rapport à l’argent, à la réussite, mais aussi à l’amour et au sexe de jeunes gens pas tout à fait encore adultes, mais qui ont déjà tout – ou presque – offert sur un plateau. Alors à quoi bon travailler, faire des études ? Ou même séduire, quand quelques clics et un virement permettent de faire venir une call-girl, en quelques minutes, à domicile ?

Loin d’un portrait nihiliste à la Bret Easton Ellis ou d’une critique sociale, Vernier – comme à son habitude – présente ses personnages sans les juger, dans des scènes qui paraîtront pour certains terribles (la place de la drogue ou de la prostitution, de l’argent étalé) ou banales, comme elles le sont pour ces jeunes que le cinéaste nous permet de rencontrer un bref instant, et dont l’obsession première reste l’argent. Ils ne parlent que de ça, et cultivent leur indécence financière comme un sport, dont ils savent pourtant le caractère vulgaire et stupide. Mais c’est plus fort qu’eux. Ils s’échangent des vidéos de folies dépensières comme autant de films pornographiques. Un millier d’euros, dépensé sur un coup de tête et pour rien, quelques bouteilles de champagne que personne ne finira. Il y a un plaisir malsain, amoral, à étaler toute cette richesse. Ils savent que c’est mal, que c’est bête. Mais c’est si bon. Filmé à l’iPhone (mais dans une démarche beaucoup moins léchée que chez Claude Lelouch ou dans que dans les pubs d’Apple), le film de Vernier se présente comme une matière brute, un bout de quotidien non poli par le scénario et la mise en scène d’un long-métrage plus « traditionnel », d’une jeunesse pas malheureuse mais triste, à la recherche presque inconsciente d’une idée de bonheur qu’ils ne parviennent pas à définir.