Saint Georges

Face au dragon

Conscrit de son compatriote Miguel Gomes, Marco Martins signe un troisième film sombre et fort. Une peinture sans concession du Portugal en crise économique. Entre instantané documentaire et portrait virant au noir. Témoignage social, politique, et chant d’amour étouffé, avec l’intense Nuno Lopes.

Le quarantenaire Marco Martins a voulu avec São Jorge raconter la réalité récente de son pays. Un versant peu vu d’un cinéma dont la production est bien moindre que chez ses voisins d’Europe. Comme Basil da Cunha avec Après la nuit (Até ver a luz), sorti en France en 2013, il donne à voir une vérité peu reluisante du monde moderne et de la déshumanisation, à travers une peinture brute de la vie populaire portugaise. Un homme, boxeur sans le sou, au pied du mur, cherche un boulot, n’importe lequel. La boîte de son père a sombré. Sa femme l’a quitté. Il veut tout faire pour son jeune fils. La mondialisation et les exigences internationales engloutissent les individus. Les vautours guettent les faiblesses de la crise économique. Alors Jorge accepte de faire l’homme de main d’une société de recouvrement, pour intimider ceux qui n’arrivent pas à payer leurs traites officieuses et galèrent, comme lui.

Saint Georges ou comment un homme se retrouve, tel le martyr éponyme, face au dragon, ici de l’austérité. Le troisième long-métrage de fiction de Martins se distingue par son tissage réussi de réalisme et de genre. Car l’aventure vire au suspense. Jusqu’où le protagoniste va-t-il aller ? Va-t-il le supporter ? Va-t-il s’en sortir ? Et son entourage ? Et ses concitoyens ? Et son pays ? Pour incarner cette face B de la puissante Europe, le cinéaste filme les banlieues, les terrains vagues, les entrepôts, les couloirs d’immeubles, les allées et venues. Et souvent la nuit. Le béton, le métal, le verre composent la toile d’un quotidien aliénant. Loin de la carte postale d’un Portugal d’emblée charmant.

Au centre de cette tragédie moderne, un corps fait vibrer la toile poisseuse. Nerveux, puissant, tendu. Nuno Lopes saisit par son incarnation d’une dualité torturante et d’un pays tiraillé entre l’ici et l’ailleurs – celui de sa compagne brésilienne qui veut repartir. La caméra le suit, collée à la nuque, à la peau. Onze ans après Alice, le duo cinéaste/interprète se reforme et retravaille la figure du jeune père bouleversé. Révélé chez le maître João César Monteiro, passé chez Christophe Honoré, Werner Schroeter et Fanny Ardant, en tête des Lignes de Wellington de Valeria Sarmiento, il est aussi à l’affiche d’Un avant-poste du progrès d’Hugo Vieira da Silva. Récompensé comme meilleur acteur de la section Orizzonti à Venise pour ce rôle, l’acteur épate par sa symbiose avec un personnage, un univers et un film.