Portrait de la jeune fille en feu

Vivre libre

Un éblouissement. Céline Sciamma, déjà brillante avec ses trois premiers films (Naissance des pieuvresTomboyBande de filles) et ses scénarios pour d’autres (Ma vie de courgette de Claude Barras, Quand on a 17 ans d’André Téchiné), monte encore d’un cran, avec un récit d’une puissance dingue sur l’amour absolu. Inspirée des innombrables peintres femmes oubliées de l’Histoire, et particulièrement durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, sa nouvelle création dynamite la reconstitution d’époque, pour mieux mettre à jour les aspirations d’êtres à la détermination chevillée au corps. Les corsets et les carcans explosent dans la France de 1770, où une portraitiste et son modèle nouent un lien intense, transcendé par la toile. Affûtée comme une flèche, la caméra perce les fioritures, et filme à l’os le désir invincible. Les étoffes, les crayons, les pinceaux, les pas, les parquets bruissent de nuances infinies, saisissant une illumination universelle : le coup de foudre.

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Copyright Pyramide Distribution.

Noémie Merlant, en observatrice diaphane, et Adèle Haenel, en sujet scruté aux aguets, irradient dans ce chef-d’œuvre puissamment singulier et amoureusement référent à Truffaut (L’Histoire d’Adèle H.), Téchiné (Les Sœurs Brontë), Karel Reisz (La Maîtresse du lieutenant français) et James Cameron (Titanic). Il y a du souffle dans la visée de Sciamma, et dans son geste artistique. De l’ampleur décuplée par son travail sur la retenue et la frustration. De la maestria dans sa science de la durée. Une croyance profonde dans son art et dans sa capacité de transmission. Transmission d’un passé enfoui et d’amours enfuies. Transmission d’un projet filmique où la collaboration est féconde. Réalisatrice, actrices, productrice, chef-opératrice, monteur, chef costumière, chef décorateur… Toutes les âmes impliquées offrent à l’aventure commune la maîtrise de leur métier respectif.

En adéquation avec le dépouillement général, la trame sonore, dégraissée d’un accompagnement musical, offre aussi un moment d’une puissance rare. Les sens ont l’impression de redécouvrir les deux minutes trente-cinq secondes du mouvement Presto de L’estate de Vivaldi, dans un plan-séquence qui parachève ces deux heures de haut vol. C’est l’esprit et le cœur gonflés que l’on quitte ce grand moment sur le regard, le refus et la liberté, auréolé du Prix du scénario et de la Queer Palm au dernier Festival de Cannes. Il méritait la Palme d’or !