Partir un jour

La note sensible

Amélie Bonnin passe du court au long-métrage avec Partir un jour, et nous embarque avec cette comédie chantée au charme fou.

« Il ne suffit pas de quitter les choses pour que les choses nous quittent ». C’est sur ce constat que s’achevait le séduisant court-métrage d’Amélie Bonnin déjà titré Partir un jour et couronné d’un César en 2023, et c’est sur cette même idée que s’articule son long, présenté en ouverture du 78e Festival de Cannes. Cette fois, les rôles s’inversent : l’écrivain célèbre de retour au pays prend les traits d’une cheffe cuisinière sur le point d’ouvrir son restaurant gastronomique à Paris ; celle restée sur les lieux de son enfance et devenue caissière s’est transformée en un garagiste fidèle à ses amis de toujours. Juliette Armanet et Bastien Bouillon, déjà au casting du court, échangent ainsi leur statut, mais conservent la même note sensible qui fait la sève des deux films.

C’est qu’il n’est question ici que de sentiments, ceux qu’on exprime ou qu’on tait, qu’on garde pour soi au risque de faire le lit du chagrin tenace, qu’on cache sous le boisseau par pudeur, timidité ou fierté, parfois les trois mêlées. La culpabilité s’invite aussi dans la danse, celle d’une transfuge de classe qui a tenu des propos blessants pour son milieu d’origine. Car Cécile fut lauréate de l’émission Top chef, ses mots maladroits furent médiatisés et son père, rancunier, les a consignés dans un carnet qu’il garde toujours sur lui. Ce personnage lucide de chef de restau routier, interprété par François Rollin, émeut fortement, tout comme celui de son épouse, interprétée par la formidable Dominique Blanc, dont les rêves d’escapades italiennes attendent sagement en coulisses. Chacun dans cette histoire conserve en lui son lot d’espoirs et de renoncements, et c’est dans l’interstice entre les deux qu’émerge l’expression des non-dits, soit par des regards confondants d’expressivité (Bastien Bouillon est chavirant de ce point de vue), soit par des séquences chantées et chorégraphiées au charme fou. À la différence d’On connaît la chanson d’Alain Resnais et comme dans Pas sur la bouche du même auteur génial, les acteurs – tous d’une grande justesse – interprètent eux-mêmes les titres choisis avec éclectisme et espièglerie, de Nougaro à K.Maro en passant par Stromae et Céline Dion. Il arrive que l’un d’eux soit interrompu à peine amorcé, et c’est une trouvaille qui en dit long sur l’intelligence de cette coécriture signée Amélie Bonnin et Dimitri Lucas.

Si la nostalgie guette les personnages, la vitalité l’emporte toujours. Elle émane du grain sensuel de l’image signée David Cailley, des lumières modulées, du son dominé par celui des camions, qui distille dans l’inconscient du spectateur la sensation d’un mouvement perpétuel. Celui du temps qui passe et des actes inachevés, qui poursuivent leur chemin en secret.

 

Anne-Claire Cieutat