Mary Shelley

Féminisme gothique

On se souvient du courage de Haifaa Al Mansour lorsqu’elle réalisa Wadja, portrait d’une Saoudienne de douze ans qui rêve de rouler à vélo à Riyad, ville qui considérait encore il y a peu cette activité comme gravement délictueuse pour les femmes. Cinq ans plus tard, la réalisatrice revient avec Mary Shelley, biopic américain au casting hollywoodien. Entre les deux films, une ligne de crête se dessine : dépeindre le désir et la victoire d’une femme dans une société phallocrate et patriarcale.

Par bonheur, Mary Shelley tourne le dos à la prétention affichée par de nombreux biopics. La vie tout entière de l’héroïne éponyme n’est pas condensée en deux heures ; nous ne la voyons ni naître ni mourir. Le récit préfère se concentrer sur deux années charnières de son existence, entre 1816 et 1818. Deux années durant lesquelles cette adolescente anglaise découvre l’amour, la maternité et l’écriture.

Fille d’éminents philosophes et romanciers, Mary Shelley cherche à se révéler à elle-même. Dans les recoins de la librairie paternelle où elle travaille, elle se rêve sillonnant le monde. Engoncée dans un patrimoine littéraire mondial et familial, elle griffonne des carnets à la découverte de sa voix d’écrivain. Des épreuves consécutives dont elle se relèvera et un pari entre poètes la pousseront à rédiger Frankenstein. Mary Shelley, l’auteur, naît alors.

C’est à ce tournant tardif mais décisif de l’histoire que le film révèle enfin son intérêt. En racontant la genèse de la création d’un livre comme résultante des douleurs et des espoirs de son auteur, Haifaa Al Mansour explore les hypothèses présidant au génie littéraire. La figure de Frankenstein devient soudain une métaphore filée de la monstruosité de la gent masculine (père, amant, éditeurs) à l’égard de Mary et des femmes. Avec conviction, le visage dur et pâle, Elle Fanning incarne une Mary Shelley complexe : douce, inflexible, passionnée et persévérante dans sa volonté d’ôter tous les masques des êtres qui l’entourent.

Hélas, une histoire d’émancipation ne libère pas pour autant des poncifs les plus élémentaires : la mise en scène est académique, le couple Shelley porte la même terne fougue de Bella et Edward dans Twilight, le ton est abusivement mélodramatique et la voix off des Shelley couvre des silences qui auraient été salutaires parmi tant d’agitations. Les travers du film d’amour hollywoodien se confrontant aux qualités du film indépendant, Mary Shelley ressemble à une fresque intimiste, mi-grandiloquente, mi-délicate.

 

Hélène Robert