Marvin ou la belle éducation


Vivre sa vie

Le regard d’Anne Fontaine marque par son intensité. Son quinzième film est une surprenante prolongation de roman. Entre descriptions appuyées et ode au dépassement de soi, elle chante un destin. Avec deux solistes magnétiques.

Étrange film que ce quinzième opus signé Anne Fontaine. La réalisatrice enchaîne les projets depuis vingt-cinq ans. Scénarios originaux, adaptations, elle varie les matériaux, seule ou accompagnée à l’écriture. C’est Pierre Trividic, plume singulière et réalisateur rare et détonant – ne pas rater son hypnotisant Dancing cocréé avec Patrick Mario Bernard et Xavier Brillat -, qui a cosigné avec elle cette prolongation libre du roman En finir avec Johnny Bellegueule d’Édouard Louis. Le résultat est une ode à l’anti-déterminisme social. Cinéaste du cossu et du feutré, elle aime aussi le choc des rencontres, et se refrotte aux personnages de couches populaires eux-mêmes confrontés au décadrage social, comme les jeunes femmes de Nathalie… et La Fille de Monaco, qui troublent des êtres installés. Le héros ici présent doit aussi assumer son désir et son identité, homosexuels. Le film prend sa source dans un roman, salué et parfois attaqué pour sa peinture socio-culturelle, de l’intérieur. La réalisatrice n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère dans ses descriptions. La famille de Marvin est d’une beaufitude ultra appuyée, même si la cinéaste s’en défend, et même si l’amour transpire, tapi sous les codes du mécanisme comportemental. Les homos sont cultivés et raffinés, et le spectacle qui confronte Marvin à son homosexualité phase refoulée est un concentré d’esthétique gay publicitaire.

La force du film vient de sa construction par allers retours temporels, et de son travail stylistique – des cadres sur les visages et les corps aux projections mentales sur les murs d’une chambre. Et bien sûr elle vient de la description d’une ténacité discrète. Celle d’un être qui arrive à tenter les opportunités qui se présentent à lui, et leur portée épanouissante, quel que soit leur timing dans son parcours. Une force (in)tranquille incarnée par deux acteurs, prolongements l’un de l’autre. Période jeune adulte, Finnegan Oldfield (Les Cowboys, Bang Gang, Nocturama) excelle sur la corde raide de l’interprétation d’un personnage qui se cherche et se découvre, sur le fil. Sa démarche, sa verticalité, son phrasé, ses moues, jouent d’une étrangeté subtile. Période enfant, une révélation ahurissante : Jules Porier. Un gamin qui en raconte beaucoup avec peu. Présence et cinégénie. Attaches entre les deux, des figures font le lien, de la fatalité à l’ouverture au champ des possibles. Catherine Mouchet y brille en principale de collège presciente. Également guide existentiel dans L’Échange des princesses de Marc Dugain, le mois prochain en salles, cette virtuose fait passer la bienveillance avec une finesse et un décalage inouïs. Le regard d’Anne Fontaine et du chef op’ Yves Angelo sur eux marque par son intensité.