Les Enfants rouges de Lofti Achour

Innocence perdue

De nos jours, dans une montagne de Tunisie, un jeune berger est assassiné. Lofti Achour s’inspire d’une histoire vraie et raconte l’irracontable. Avec un sens inné de la beauté, qui est partout, même là où rôde le mal.

Deux adolescents partent au petit matin avec leur troupeau de chèvres. Ils vont loin dans la montagne, là où il y a de l’eau et de grandes pierres plates pour s’allonger au soleil. C’est un lieu interdit : le grand frère de Nizar, sans autre forme d’explication, l’a tabassé pour bien le persuader de ne pas y retourner, raconte ce dernier à son cousin Achraf. Mais à quoi bon renoncer aux endroits accueillants, si rares sur cette terre aride ?

Nous sommes à Mghila, au centre-ouest de la Tunisie, près de la frontière algérienne. Le village à l’aplomb de ces montagnes, composé de quelques maisons où vivent les membres de la famille de Nizar et Achraf, est comme isolé du reste du monde. Lorsque les deux garçons sont violemment empoignés et battus et que Achraf découvre son ami décapité, la sidération s’abat sur lui. En bas, les cris, les pleurs et la colère s’emparent de tous. La mère de Nizar veut entendre encore et encore le récit de Achraf, perdu, confus et oublieux ; son grand frère appelle un homme, qui doit venir et ne vient pas ; on murmure que des terroristes sont les meurtriers, que le jeune berger était un indic… Tout est flou, terrible, injuste. Seule la volonté de retrouver le corps de Nizar semble nette et impérieuse.

Adaptant une histoire vraie survenue en 2015, Lofti Achour (Demain dès l’aube, 2016, inédit chez nous), par ailleurs metteur en scène de théâtre, filme un pan de la Tunisie que le cinéma ne montre pas si souvent. Dans les terres loin du littoral touristique et des villes où éclata le Printemps arabe, des hommes, des femmes et des enfants oubliés de tous partagent leur quotidien, travaillent et vont à l’école. Leur seule échappée : les pentes harassées de chaleur, où parfois une retenue d’eau apporte fraîcheur et répit. N’étaient les portables et le frigidaire (où l’on dépose la tête du supplicié), on se croirait, dans ces pauvres maisons rudimentaires au sol en terre battue, à une époque reculée que la modernité n’a qu’à peine effleurée. Pourtant, la vie est là : la force des hommes, la pugnacité des arbres qui poussent tout tordus et verts, les ébats enfantins et résolument joyeux des gamins.

Enserrée dans des cadres magnifiques faisant la part belle aux visages et aux paysages, baignée de la musique envoûtante de Jawhar Basti et Venceslas Catz, cette humanité délaissée nous saisit et ne nous lâche plus. Dans ces montagnes-là, dans ces vies-là, l’espoir est comme l’eau : on en trouve même où il n’y en a pas.