Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait

Vertige du langage

Dans ce délectable chassé-croisé amoureux, le cinéaste Emmanuel Mouret fait de la parole le terrain du cinéma, d’où naissent vertige et charme dans un même élan conjoint.

Jamais le réalisateur de Changement d’adresse et Un baiser s’il vous plaît, au cinéma pourtant fort bavard, n’avait fait autant confiance au pouvoir des mots à générer du cinéma. En imaginant comme point d’ancrage un homme (Maxime-Nils Schneider, toutes failles béantes) et une femme enceinte (Daphné-Camilla Jordana, tout en nuances et délicatesse), qui se rencontrent pour la première fois et sont amenés à passer seuls quelques jours à la campagne, Emmanuel Mouret fait naître un enchâssement de récits, dont la complexité s’intensifie peu à peu. À la manière de Jacques le Fataliste de Diderot, que le cinéaste affectionne beaucoup, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait tisse, dans un discours indirect libre, des situations antérieures ou synchrones au temps narratif du film avec, en leur centre névralgique, le désir mimétique tel que l’a théorisé René Girard. Les couples de cette histoire se font et se défont, se reforment ou se croisent ainsi dans une valse chorale qui procure ivresse et vertige à celui qui y assiste.

L’idée formidable qui traverse ce film est de faire des décors, tous somptueux et porteurs d’histoire, comme du goût pour la culture que partagent la plupart des personnages, les sources qui influencent consciemment ou inconsciemment les décisions de chacune et chacun. Ainsi Sandra (Jenna Thiam), prise par un sursaut de clairvoyance, envoie-t-elle au visage de Gaspard (Guillaume Gouix), dont elle se sépare, les ouvrages de Balzac et Diderot comme un refus ferme de rejouer incessamment des histoires qui ne lui appartiennent pas en propre. Un peu plus tard, la diffusion télévisée du documentaire, dont Daphné a signé le montage, donnera une idée à Louise (Émilie Dequenne) pour quitter dignement son mari (Vincent Macaigne) et nourrira le pivot narratif de l’intrigue – beau panache, qui suscite un malaise cousin de celui du brillant Mademoiselle de Joncquières. La fiction nourrit nos vies et, parfois, en décide même du cours, raconte ce film, qui est aussi l’un des plus mélancoliques et aboutis de son auteur. L’immense précision des dialogues et de l’interprétation des comédiens – tous impeccables -, la fluidité de la mise en scène, qui privilégie les plans-séquences comme autant de dédales sentimentaux dans lesquels s’égarent les personnages, la lumineuse photographie de Laurent Desmet, qui signe avec Emmanuel Mouret sa huitième collaboration, les décors savamment reliés par une unité stylistique et qui racontent le temps qui passe, tout converge dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait à faire émerger un sentiment de raffinement et de justesse délicieux, dont l’écho nous poursuit encore longtemps après la projection.