Le Sommet des dieux de Patrick Imbert

Gravir la montagne

Film d’animation, Le Sommet des dieux tient un discours éminent et profond sur le désir des hommes de surpasser la nature. Un conte philosophique esthétique, réaliste, plein de suspense, qui intéressera par-delà les aficionados des sports alpins. Haletant.

 

Le photo-reporter Fukamachi est sur la piste d’Habu, un alpiniste mystérieux et misanthrope. Ce dernier détient l’appareil photo de George Mallory, la preuve potentielle qu’il ait atteint le sommet de l’Everest dès 1924, changeant l’histoire de l’ascension en haute montagne…

Le Sommet des dieux relève d’une cordée d’artistes émérites s’échelonnant dans le temps : récit de Baku Yumemakura, publié sous forme de feuilleton dans les années 1990, il donna lieu au chef-d’œuvre de Jirô Taniguchi, adaptation en bande dessinée (cinq tomes exceptionnels, traduits et édités chez Kana en France). Aujourd’hui, Patrick Imbert (Le Grand Méchant Renard et autres contes, 2017), entouré des producteurs Didier et Damien Brunner et de Stéphan Roelants, reprend le flambeau pour la version cinématographique animée en 2D.

Le Sommet des dieux - Photo : Wild Bunch Distribution

Quatre années de travail sur le scénario et la transposition des ouvrages de Taniguchi ont recentré le récit sur le personnage de Fukamachi suivant les traces d’Habu. Du texte initial, les auteurs ont eu la bonne idée de conserver le mélange des époques, les chassés-croisés juxtaposant lieux et décors (Katmandou, les Alpes, Tokyo, l’Everest…) ainsi que la construction psychologique des héros à travers le temps. À ce jeu de balancier s’ajoute une tension philosophique en crescendo sur le désir impérieux, sans cesse questionné, de gravir la montagne. Un sentiment trouble se dégage notamment du trajet intérieur d’Habu : alpiniste obsessionnel et bourru, marqué au fer rouge par des drames retracés avec émotion, il s’inflige comme une catharsis indispensable la violence physique qui consiste à escalader les murs de pierre et de glace…

Le Sommet des dieux - Photo : Wild Bunch Distribution

Grâce à une esthétique graphique accomplie, dont la simplicité rend hommage au style inatteignable de Taniguchi, et par une attention soutenue aux sons, les séquences de danger en montagne sont d’un réalisme confondant. Les auteurs n’ont pas hésité à faire appel à des spécialistes de l’Everest pour retracer au plus juste les commotions, le choc du froid, du vent, la perte d’oxygène de ces âmes passionnées, plongées en milieu alpin. Au gré de visions subjectives spectaculaires, les descriptions des affres et sensations qu’ils éprouvent n’ont de cesse de tirer le spectateur de sa torpeur : qu’il s’agisse d’une avalanche engloutissant tout sur son passage ou de la chute d’un compagnon remuant comme un vermisseau au bout d’une corde dans le vide, chaque étape révèle la fragilité de l’existence, qui ne tient qu’à un fil. Par delà le suspense, le réalisateur fait un constat métaphysique bouleversant sur le souhait irrationnel des hommes de toujours se surpasser, simplement parce que « ce qui est à gravir » est là, devant eux. Cette vérité, retranscrite avec fièvre, parachève la réussite incontestable de l’adaptation du Sommet des dieux au cinéma.

Olivier Bombarda