Un vigile découvre une bombe, sauve des vies, devient héros, puis suspect n° 1. L’histoire est vraie, elle ne pouvait qu’attirer Eastwood. Il retrouve ici ses thèmes de prédilection et signe un beau et grand film.
« Je veux aider, je suis policier moi aussi », répète-t-il inlassablement. Richard Jewell est malmené, interrogé, fouillé, disqualifié. Quelques heures auparavant, cet agent de sécurité avait été sacré héros. Désormais, il est suspect. Suspect idéal selon la police, le FBI, la presse. Donc coupable.
L’histoire est vraie. Elle est adaptée par Billy Ray (Geminy Man) de l’article de presse et du livre enquête de Kent Alexander et Kevin Salwen. Le 27 juillet 1993, lors des jeux Olympiques à Atlanta, dans le parc Centennial où des badauds en liesse se promenaient en famille ou écoutaient un concert de Kenny Rogers, Richard Jewell, vigile, découvrait un sac suspect. Ayant donné l’alerte, le verdict du démineur tomba : une bombe. Impossible à désamorcer. Richard réussit, avec ses collègues, à éloigner la foule. La bombe explosa. Il y eut un mort et plus de cent blessés. C’est beaucoup, mais ça aurait pu être pire. Richard Jewell fut sacré héros. Et puis, trois jours plus tard, soupçonné et interrogé. Et ce pendant quatre-vingt-huit jours.
Il était logique que Clint Eastwood, tenaillé depuis toujours par la justice et l’injustice, s’intéresse à cette histoire, et à ce personnage d’homme anonyme, de héros américain porté aux nues puis broyé. Dans la veine de Suli et de tous les cowboys solitaires, «Honkytonk men» et «mavericks» échappés du troupeau que mit en scène (ou incarna) Clint Eastwood, le personnage de Richard Jewell est un cas d’espèce.
Le film démarre par la rencontre, en 1986, entre Richard, agent de maintenance qui se rêve en policier, et Watson Bryant (Sam Rockwell, plus que parfait) un aspirant avocat grande gueule et forte tête. Une sorte d’amitié se noue entre les deux ; on comprendra ensuite que Richard, souvent raillé, a trouvé là une des rares personnes (en dehors de sa propre mère) qui ne le regarde pas de haut. Ce début est d’autant plus important que Watson sera la personne ressource que Richard appellera lorsqu’il sera questionné illégalement par le FBI. Et Bryant deviendra l’avocat de Jewell. Duo improbable, de professionnel à client, mais aussi de grand frère à benjamin, qui lui intime (avec une tendresse de bulldozer) de se taire ou de cesser de se laisser faire : « Arrêtez de leur lécher le cul ! », lui dit-il à propos de la tendance de Richard à respecter les forces de l’ordre. «Ils veulent vous faire griller sur la chaise électrique ! ».
Il y a d’ailleurs deux autres couples atypiques dans le film : celui que forment Richard et sa mère Bobi (Kathy Bates) et qui fait de lui une sorte de gros bébé géant dorloté par une femme aimante et attentive ; Watson et son insolente secrétaire, Nadya (excellente Nina Aryanda, dans un rôle proche de son personnage de Patty dans la série Goliath), ces partenaires professionnels et complices pour le meilleur et pour le pire embarqués sur un bateau en train de couler, car on ne peut pas dire que la firme Bryant croule sous les clients…
De l’autre côté de la balance, Eastwood charge un peu la mule. Les méchants sont très méchants, et si on espère que cette représentation est fidèle à la réalité (le véritable interrogatoire filmé de Jewell par le FBI a servi de base à la scène de fiction), on a du mal à encaisser notamment la caricature de journaliste qu’interprète Olivia Wilde. Son personnage, porte le nom réel de Kathy Scruggs, reporter de l’Atlanta Journal Constitution aujourd’hui disparue. En dehors du fait qu’elle n’est pas le seul membre de la presse à avoir cloué au pilori Richard Jewell, mais est dans le film la seule représentante de sa corporation identifiée, au-delà de la polémique lancée par le journal, offusqué de l’allégation selon laquelle elle aurait monnayé de ses charmes une information auprès d’un ponte du FBI ; ce qu’on voit dans le film est une femme prête à tout pour un papier en une. Et peu soucieuse des faits. Lorsqu’elle arrive sur les lieux du drame, elle se préoccupe plus de ce qu’elle va pouvoir en dire que des innombrables blessés (elle prie littéralement, et à haute voix, pour que « ce soit intéressant ») .
Cette réserve mise à part, le film, magnifiquement restitué dans son époque, rondement mené, sans temps mort, est passionnant et efficace. Tout ce qui se dit sur la curée policière et médiatique s’abattant sur un innocent (à une époque antérieure aux réseaux sociaux !) est glaçant et résonne fortement en nous.
Et finalement, à travers les personnages de Richard, sa mère, son avocat et l’assistante de celui-ci, c’est la bonté d’âme que met en scène Clint Eastwood. Ces quatre-là sont du même côté de l’humanité, celle des petits, des obscurs, des sans-grade, qui font (ou essaient de faire) ce qui est juste. Et, même si Richard possède chez lui un stock d’armes déconcertant (« On est en Géorgie », argumente-t-il… ), même s’il a été viré d’un campus universitaire pour excès de zèle et abus de pouvoir, il est, aux yeux d’Eastwood, imparfait mais pur. Comme un enfant. Et son interprète, Paul Walter Hauser, entrevu dans Moi, Tonya, est la force du film : quasiment de tous les plans, il habite avec puissance et nuances un personnage à la douillette silhouette de nounours, d’autant plus complexe qu’il a l’air simple.