La Trilogie d’Oslo de Dag Johan Haugerud

Cœurs battants

Le romancier et cinéaste norvégien Dag Johan Haugerud jouit d’une belle popularité dans son pays. Grâce à La Trilogie d’Oslo (Rêves / Amour / Désir), il conquiert à présent le cœur du monde entier en disséquant délicatement nos manières d’aimer.

 

Une même réplique se fait entendre durant Amour et Désir : « le corps est un champ de bataille ». En visionnant l’entière Trilogie d’Oslo, nous voilà tentés de préciser cet axiome : « le corps et le cœur sont un champ de bataille ».

Lorsqu’il exprime le désir, le corps se fige (Rêves), s’abandonne (Amour) ou apprend (Désir). Et le cœur s’enflamme plus ou moins. Lorsque nous sommes malades, le corps se meurtrit et le cœur est contrit (Amour).

Dag Johan Haugerud nous dépeint tels que nous sommes. En perpétuel transit. Là où l’équanimité et le repos n’équivalent qu’à une simple trêve.

L’action de ses trois longs-métrages se déroule de nos jours à Oslo. Dans Rêves, une lycéenne tombe amoureuse de sa jeune professeure de norvégien et français. Dans Amour, une urologue et son collègue infirmier poursuivent des relations sentimentales qui semblent d’emblée incertaines. Dans Désir, deux ramoneurs cherchent à décrypter leur inconscient.

Ces trois histoires en apparence dissemblables se répondent à bien des égards. Chacune montre un visage complémentaire d’Oslo : une partie de son fjord et de ses mythiques statues (Amour), l’architecture moderne d’un lycée, puis de ses tours d’habitation (Rêves), ses toits et tunnels routiers animés (Désir). La ville en tant que personnage nous charme comme dans certaines œuvres du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague, voire du film noir. Sa représentation renvoie au contexte social, parfois intime, des protagonistes. À la faveur de séquences urbaines ponctuant la narration, l’atmosphère de la capitale est capturée. Plutôt ensoleillée dans Amour et Désir, joyeuse et vivante, rythmée par les mélodies sautillantes au trombone de Peder Capjon Kjellsby. Davantage nocturne dans Rêves, taciturne et mélancolique. Grave en raison de cet amour réduit au silence, car interdit, réussissant néanmoins à s’exprimer à travers les notes fantasmatiques des cuivres et violons de la compositrice Anna Berg.

La beauté de La Trilogie d’Oslo tient aussi en sa pudeur. Elle montre l’amour et le désir sans représenter pleinement l’acte sexuel. Elle s’arrête aux corps partiellement dénudés, aux étreintes dans l’eau et aux baisers dans un lit. Voilà une trilogie où l’on parle avant tout de sentiments et de ce qui se meut en soi. Le talent de dialoguiste de Dag Johan Haugerud côtoie ici la psychanalyse. On se remémore tour à tour certains héros des films de Woody Allen ; des discussions décomplexées sur la sexualité, propres aux œuvres d’Alain Guiraudie ; ou l’analyse des dynamiques de couple chère à Ingmar Bergman.

Ours d’or au Festival de Berlin en 2025, Rêves amorce la trilogie avec la découverte du premier amour. Derrière la caméra du cinéaste, il est celui des plus grandes illusions et souffrances. Certes, le postulat scénaristique est peu crédible – quel professeur recevrait aujourd’hui à son domicile son élève pour discuter avec lui de sa vie privée ? Mais la mise en scène, elle, convainc. Les ellipses convoquent le temps long du deuil amoureux, et avec lui, le changement de perception des sentiments passés. Rêves trouble par le regard juste qu’il porte sur la solitude.

Prix FIPRESCI au Festival de Tromsø en Norvège en 2025, Amour s’inscrit au milieu de la trilogie. Serait-ce un moyen pour Dag Johan Haugerud de nous signifier sa définition de l’amour, tel un sentiment au centre de tout et à la croisée du rêve et du désir ? Ce film choral gagne en relief à mesure qu’on s’en souvient. D’un abord sans prétention, ce film n’en est pas moins remarquable. En effet, il révèle les différents langages de l’amour avec habilité et loin des poncifs du genre.

Jusqu’à maintenant moins acclamé par la critique, Désir mériterait pourtant davantage d’égards. À partir d’un dispositif filmique simple – généralement deux personnages en plan-séquence discutant de part et d’autre du cadre – le long-métrage convoque des situations inattendues. Fort du talent de Dag Johan Haugerud, ce qui aurait pu s’avérer anodin devient marquant. En étant directement présentés sous le prisme de leur désir potentiellement refoulé, les deux héros déjouent d’emblée les stéréotypes attribués à la masculinité.

La Trilogie d’Oslo réunit une palette d’acteurs norvégiens au jeu naturel déconcertant. Hormis Lars Jacob Holm, qui interprète un psychologue à la fois dans Rêves et Amour, chaque comédien occupe un rôle unique et tout en nuances. On n’oubliera pas l’air perdu de l’amoureuse transie Johanne dans Rêves, jouée par Ella Øverbye. On se souviendra de l’infirmier Tor dans Amour, grâce au regard doux et empathique en toutes circonstances de Tayo Cittadella Jacobsen. On restera amusés par les yeux subrepticement animés de Jan Gunnar Røise, l’interprète ramoneur de Désir.

Le 18 juin 2025 sortait en France le film norvégien Loveable, réalisé par Lilja Ingolfsdottir. Celle-ci y décortiquait les ressorts psychologiques d’une relation amoureuse. Avec La Trilogie d’Oslo (Rêves / Amour / Désir), c’est donc tout un pan du cinéma norvégien qui semble venir à nous. Un art subtil auscultant à la loupe la complexité des sentiments.

Hélène Robert