L’une chante, l’autre pas

Vivre sa vie

Quarante ans après, le duo féminin filmé par Agnès Varda en 1976 ressort, tout beau tout neuf. Ou presque ! Si le folklore pattes d’eph fait sourire, le propos et le regard engagés résonnent, forts et émouvants.

Sa sortie originale date de 1977. Quarante-et-un ans plus tard, et après une présentation en mai sur la Croisette, section Cannes Classics, le sixième long-métrage de fiction d’Agnès Varda ressort en version restaurée. Engagée dans la représentation de figures féminines, la cinéaste l’a toujours été. Femmes têtes de ligne de ses films, dans des périples existentiels en solo (Cléo de 5 à 7, Sans toit ni loi, Jane B. par Agnès V.), dans des radiographies de couples (La Pointe courte, Le Bonheur, Les Créatures, Kung Fu Master) ou en duo avec un enfant (Documenteur). Engagée auprès des femmes et de la société, Varda l’est aussi restée. Signataire du manifeste des 343 en 1971 – pétition appelant à la dépénalisation et à la légalisation de l’avortement -, présente au procès de Bobigny en 1972 – qui relaxa une ado qui s’est fait avorter après un viol -, elle a accompagné des Françaises qui en avaient les moyens faire une IVG aux Pays-Bas, quand l’Hexagone l’interdisait encore.

Le long-métrage a été tourné courant 1976, un an après la fameuse Loi Veil de 1975 légalisant l’interruption volontaire de grossesse. Il conte sur quatorze ans l’amitié de Pomme et Suzanne, entre 1962, quand la Gaule de De Gaulle prive encore les épouses de l’indépendance professionnelle et financière, et le corps féminin de la libre contraception, et 1976, donc. L’une est au départ étudiante de dix-sept ans, l’autre, âgée de vingt-deux ans, est déjà mère de deux enfants avec un homme marié. Quand le récit se clôt, la première a trente-et-un ans et deux bambins, séparée du père iranien du premier, mère célibataire du deuxième, chanteuse dans un groupe féminin militant. La seconde, qui a travaillé des années au Planning familial, est tombée amoureuse d’un médecin, et vit l’amour partagé.

À travers l’énergie solaire de Valérie Mairesse, et la poésie mélancolique de Thérèse Liotard, la cinéaste pose un regard vif sur la condition féminine. L’écho est fort en 2018, quand des mouvements d’ici ou d’ailleurs voudraient revenir sur l’IVG, que la parité hommes/femmes est au cœur de débats et contrats, et que la libération de la parole explose suite au cas Weinstein. Regarder un témoignage du passé est riche d’enseignement. Surtout quand cette mise en lumière naît d’une bienveillance constructive. La carte postale chromo d’une France rétro des années 1960 et 1970, avec un impayable groupe Orchidée au militantisme théâtral, est enrichie de malice, telle la parenthèse persane épatante, conçue comme un aparté, et exploitée parfois en court-métrage autonome : Plaisir d’amour en Iran. L’émotion est vive enfin, car Varda y inclut ses propres enfants : Mathieu Demy, tout petit, en Zorro, et Rosalie Varda, femme en devenir, dans une clôture lumineuse et tournée vers la vie.