La fin de l’adolescence, les rapports de classe et le regard des autres : ce premier film juste et bouleversant révèle une actrice et confirme tous les autres.
Il est tout fébrile Hugo, 19 ans, qui change sa housse de couette, escamote un poster de manga et court à travers champs pour cueillir quelques fleurs. Il se rend à l’embarcadère et accueille Queen venue passer quelques jours avec lui, en tête à tête dans la maisonnette de son grand-père, sur l’île de Bréhat.
À première vue, la timidité naturelle du jeune homme est décuplée par l’apparence physique de ladite Queen, spectaculaire et sans complexe jusqu’au bout de ses (très) longs ongles laqués et pailletés. La jeune esthéticienne dit tout ce qu’elle pense, elle est libre et drôle et peu à peu, sa gentillesse conforte et réconforte Hugo.
Pourtant, il reste intranquille cet ancien gros, ex souffre-douleur de son groupe de potes. Sa transformation physique, élaborée patiemment de régime en salle de sport, est évacuée en deux phrases et reste le hors champ du film. Dans l’ici et maintenant, ses regards de bête traquée en attestent, il n’a pas étanché sa soif de reconnaissance vis-à-vis de Paul, Colombe, Marie-Bé et les autres. Qui justement sont là et justement le convient à une fête avec sa nouvelle conquête.
Lutte des classes, mots méprisants, sourires narquois : le glissement du désir d’Hugo est ineffable. Malgré ce qu’il est devenu, malgré l’amour franc de Queen et l’amitié sans faille de Kamil (qui, alors qu’Hugo fut le gros de la bande, fut clairement l’Arabe de service, mais qui sait exactement, lui qui est le seul à travailler cet été, où se situer par rapport à ces petits bourgeois condescendants) Hugo va se laisser happer, piéger, écraser par le regard des autres.
Sous un soleil de plomb qui caresse les peaux, fait cligner les yeux, l’histoire, cruelle et éternelle, se déploie telle une tragédie antique. Il y aura trahison et sacrifice humain… toutes proportions gardées certes, personne ne va mourir. Mais on sait bien que les blessures d’adolescence vous tuent au-dedans et restent inguérissables.
Porté par Félix Lefebvre (Été 85), évident et intense, et, dans le rôle de Kamil, par Nolan Masraff (La Gravité), terrien et subtil, le film est emporté par la verve et l’éclat de Anja Verderosa, nouvelle venue impressionnante qui s’est littéralement transformée en cagole au petit chien et aux tenues voyantes. Elle insuffle une humanité inouïe, une vérité sensible à ce personnage plein de strates et de strass.
Isabelle Danel