Heureux comme Lazzaro

Entre fable moderne et film politique, porté par une réalisation limpide et par la révélation du lumineux Adriano Tardiolo, le troisième film d’Alice Rohwacher confirme le talent d’une cinéaste hors normes.

Drame social, conte, brûlot politique, résurrection de la « comédie à l’italienne » (on pense notamment à Affreux, sales et méchants) : il est assez difficile de définir le troisième film d’Alice Rohrwacher, et c’est une très bonne nouvelle. Si Les Merveilles, son précédent opus, était inégalement convaincant, Heureux comme Lazzaro (présenté en compétition à Cannes cette année) est à la foi une merveilleuse surprise et la suite logique d’une démarche qui s’avère très cohérente. Car, malgré ses longueurs et quelques facilités d’écriture, Les Merveilles contenait en germe toutes les saveurs d’Heureux comme Lazzaro : la beauté du grain 16mm, l’utilisation organique de superbes décors naturels, et l’irruption d’imagerie ou d’éléments fantastiques au sein d’un récit naturaliste. On ne révèlera pas ici la teneur du rebondissement fantastique car il intervient de façon très subtile en moitié de film, mais, on tentera de circonscrire l’intrigue en quelques mots : soit, dans une campagne reculée d’Italie, l’amitié qui unit Lazzaro, un paysan aussi simple que bon, à Tancredi, fils d’une famille bourgeoise, en révolte adolescente et désordonnée. Cette amitié, sur fond de kidnapping factice, est un des éléments d’un scénario à la fois riche et très fluide, qui ne cesse de surprendre tout en restant constamment cohérent. Et c’est sur ce socle très solide qu’Alice Rohrwacher construit une œuvre à la fois solaire (le portrait de Lazzaro, merveilleux Adriano Tardiolo, innocent très pasolinien) et pessimiste (le portrait d’une Italie individualiste, inégalitaire et rongée par une urbanisation déprimante). Mais ces quelques considérations esthétiques ne rendront certainement pas compte des sensations ressenties à la vision d’un film qui ressemble à peu d’autres et qui se doit d’être vécu sur grand écran.