Maryline

Jouer sa vie

Pour son deuxième long après Les Garçons et Guillaume, à table !, Gallienne suit le parcours d’une comédienne dans un film imparfait mais très attachant. Avec, au centre d’un casting inspiré, Adeline D’Hermy, brûlante révélation.

La première scène est une « scène ». Une audition. En off, on entend les directives du réalisateur. Sous ses injonctions et face à nous, une très jeune femme, blonde, diaphane, s’emploie à dompter une table qui remue comme si elle était possédée du démon. La comédienne s’accroche, ne se laisse pas désarçonner, tient bon. Un sourire un peu gêné finit par illuminer son joli visage. L’homme, le réalisateur, la rejoint ensuite dans le champ et lui demande son nom et d’où elle vient. Elle s’appelle Maryline et vient d’un petit village. On l’y voit, à vingt ans, avec d’autres femmes qui tentent avec elle d’ouvrir l’urne funéraire renfermant les cendres de son père. Puis elle laisse là sa mère et ses copines, monte dans le bus avec, pour viatique, la recommandation de la flamboyante tenancière du café-tabac : « Ne fais pas comme moi, ne reviens pas. »

Mais Maryline, dès son premier film, se heurte à la cruauté ordinaire de ce monde dont elle n’a pas les codes. Parce qu’elle a du charme, un certain naturel, le réalisateur, Ilan, la propulse, alors qu’elle devait jouer une lavandière muette, dans un rôle parlant, en anglais de surcroît. Son répétiteur constate vite qu’elle n’a pas l’accent, et, face à la caméra, Maryline ne parvient pas à énoncer cette phrase toute simple : « Hello, what do you want ? ». Ce qui déferle ensuite sur elle, pétrifiée, tétanisée, c’est la violence d’un homme qui, sous couvert d’art et d’amour, se comporte en dictateur avec une femme qui n’a pas les armes pour lui résister, ni l’éloquence pour lui répondre…

Après l’autobiographie adaptée de son propre spectacle seul en scène, Les Garçons et Guillaume, à table !, Gallienne écrit et réalise son deuxième long-métrage, plus dramatique, moins « payant », plus difficile et humble. Après la naissance d’un acteur, raconter le parcours d’une comédienne ; après la comédie, aborder la tragédie ; après la mise à nu frontale et spectaculaire, observer la pudeur d’une âme simple et contrainte, ses blessures secrètes, ses silences coupables.

Il y a, dans ce deuxième film sur le fil, les fragilités et les outrances d’une première œuvre. L’envie de tout mettre, de bien dire, d’en faire beaucoup. Trop. Raconter quarante ans de la vie d’une femme, jouer sur les époques (l’enfance dans les années 1960, le départ dans les années 1970, la chute dans les années 1980, la rédemption dans les années 1990), effleurer des bribes biographiques (la tragi-comédie autour des cendres du père et de l’urne qui refuse de s’ouvrir, l’épisode de l’oiseau, la confidence sur les cheveux courts), faire des bonds dans le temps (ellipse énorme, qui voit Maryline quitter le tournage d’Ilan et se retrouver bien des années plus tard dans un centre de tri tout gris), ou s’étaler longuement sur une période (celle qui « explique » un peu trop l’alcoolisme avec l’ébriété au bureau, en compagnie du fils du patron, suivie du voyage à Étretat et de la scène du restaurant, où un gentil collègue tente de l’empêcher de boire). Mélanger, aussi, les styles : un certain naturalisme avec une re-création légèrement décalée des souvenirs, entre flash-back (le salut sur scène de la petite fille aux cheveux courts et à la robe jaune) et mise en abyme (l’évocation d’une enfance « à la Zola » sur un ton goguenard par des tiers… scène longue et dérangeante, qui se révèle, comme la scène de la table, une « vraie » scène dans une pièce de théâtre).

Si tout ne fonctionne pas, il y a une sincérité indéniable dans cet hommage à une femme sans fard. Et des moments de grâce absolue dus à la poésie de certains instants et à la pertinence des acteurs : Florence Viala en tenancière de bistrot forte en gueule, Clotilde Mollet en mère effacée, Vanessa Paradis en star incontestable (*), Eric Ruf en metteur en scène attentif.

Et puis, Adeline D’Hermy. Une présence évidente, des tonalités atypiques et une fraîcheur de jeu qui remue et bouleverse.
Ode à la force des faibles, à la beauté des rencontres et à la bienveillance, Maryline est un film généreux, plein de plaies et de bosses, à l’image de son héroïne. Et, finalement, une variation sur le même thème : Guillaume Gallienne signe à nouveau, après Les Garçons et Guillaume, à table ! un chant d’amour au théâtre, qui sauve et révèle.


*Vanessa Paradis chante magnifiquement Cette blessure de Léo Ferré au générique de fin, surtout écoutez jusqu’au bout !